Si les pays musulmans ont effectivement raté le train du capitalisme, ils auraient pu embarquer avant tout le monde. C’est en tout cas la leçon de Maxime Rodinson, un des plus grands islamologues contemporains.
L’islam, comme les autres religions monothéistes, prêche l’égalité sociale et se prononce contre l’individualisme. Mais il va plus loin : parce qu’il prohibe le prêt avec intérêt, il semble incompatible avec le capitalisme. Si on ajoute que le monde musulman dans son ensemble est entré à reculons dans l’ère capitaliste, on n’est pas loin de penser que l’islam a été un frein au développement économique et à l’accumulation de capitaux. Mais il faut nuancer.
La religion acquittée
Dans son ouvrage de référence, Islam et capitalisme (Ed. Seuil, 1966), l’historien français Maxime Rodinson pose les termes du débat : l’islam est-il réfractaire au capitalisme ? Pour lui, les fondements économiques et sociaux basés sur la lecture du Coran et des hadiths ne sont pas opposés à certaines formes de capitalisme. Il va même plus loin, en affirmant qu’ils l’encouragent. Si le capitalisme a échoué à prendre pied en terre d’islam, ce ne serait aucunement pour des raisons religieuses mais pour des motifs sociologiques. D’influence marxiste, Rodinson reste fidèle à la théorie des rapports de force entre les classes sociales développée par Karl Marx : « Si la bourgeoisie n’a pas maintenu et développé sa puissance des premiers siècles de l’hégire, si les Etats dominés par une hiérarchie nobiliaire et militaire l’ont empêchée de peser suffisamment sur le pouvoir politique, si la ville n’est pas parvenue à dominer suffisamment la campagne, […] si l’accumulation primitive capitaliste n’a jamais atteint le niveau européen , cela est dû à de tout autres facteurs que la religion musulmane ».
Il est pourtant difficile de séparer le champ politico-religieux du système économique en place, vu l’influence de la sphère religieuse dans les sociétés musulmanes passées et présentes. En Occident, la naissance et le développement du capitalisme, au sens wébérien du terme, datent de la révolution industrielle et coïncident avec les débuts du processus de laïcisation. En clair, l’influence du religieux aurait été un frein à l’épanouissement du capitalisme, même en terre chrétienne.
Par Sami Lakmahri
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