Peintre, écrivain, mais aussi «fils de» et «frère de», Mahi Binebine ouvre ses jardins secrets pour les lecteurs de Zamane. Visite guidée.
Le personnage central de votre dernier ouvrage (Le fou du roi) est votre père. Quels souvenirs gardez-vous de lui ? Il fallait tout de même faire du livre un roman.
En réalité, je n’ai pas vraiment connu mon père puisque mes parents se sont séparés alors que j’avais à peine trois ans. Je suis le sixième enfant d’une fratrie de sept. Ma mère, Algérienne de naissance, nous a donc élevés seule. Elle a su qu’elle n’était pas la première épouse de mon père lorsqu’un jour une foule est venue lui présenter ses condoléances. Une précédente épouse avait en effet perdu son père, mais les gens du quartier pensaient qu’il s’agissait de ma mère. Nous vivions dans une maison de location au fin fond de la médina de Marrakech. Seule, ma mère a dû se battre dans un monde d’hommes avec très peu de moyens. Nous n’avions pas faim mais nous manquions de tout le reste. Pour améliorer notre quotidien, ma mère a entrepris de faire des études, un choix audacieux et rare pour l’époque. Cette démarche lui a finalement permis de devenir secrétaire puis de gravir les échelons jusqu’à devenir chef de service au sein du ministère des Finances.
Votre mère vous a en ce sens beaucoup inspiré…
Pas seulement moi, mes frères et soeurs aussi. Nous n’avions pas le droit de rater nos études. D’ailleurs, personne ne s’est arrêté en chemin, y compris mon frère qui a fait l’armée (Abdelaziz Binebine, ndlr) et qui a passé 18 ans à Tazmamart. Un autre est devenu milliardaire en s’établissant aux Etats-Unis. Notre mère a en effet servi d’exemple. Elle n’était pas autoritaire mais, avec beaucoup de subtilité, parvenait à transmettre l’éducation qu’elle voulait pour nous. Lorsque j’ai eu mon bac avec d’excellents résultats en mathématiques, ma famille n’avait pas les moyens de m’envoyer poursuivre mes études en France. Mon père, cloîtré entre les murs du palais royal, ne nous fournissait aucune pension alimentaire. J’ai eu l’idée avec deux copains d’ouvrir un café. Lorsque j’en ai parlé à ma mère, elle a fait mine d’être enthousiaste. Elle m’a même proposé de débloquer le capital nécessaire. Je me souviens de cette scène où elle était assise dans un coin de sa chambre à faire ses mots croisés. Au moment où je quitte la pièce, elle m’interpelle de nouveau et me dit sur un ton malicieux : «Tu vois Mahi, je t’imaginais plus te faire servir plutôt que de servir toi-même les gens». J’ai immédiatement renoncé à mon projet.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’article dans Zamane N° 81-82