Le Maroc et la CIA (Central Intelligence Agency), c’est l’histoire d’une vieille relation qui a traversé la deuxième moitié du siècle dernier, sans jamais cesser, passant des chuchotements de radio arabe au fracas médiatique. Un acoquinement qui a pris des formes et des intentions variées, selon le contexte et les vicissitudes historiques, mais dans la continuité d’un intérêt particulier pour le Maroc. Il faut dire que nous ne sommes pas les seuls dans ce cas. Un peu partout, à l’exception relative, peut-être, de la lointaine Océanie, à chaque fois qu’un régime politique vacille, où que ce soit, les regards se tournent vers l’hyperpuissance américaine qui régente le monde. Nous ne pouvions y échapper, nous autres. Les documents récemment déclassifiés de la CIA abondent dans ce sens.
à chaque événement majeur que le Maroc a connu, depuis plus de 70 ans, l’acronyme CIA est revenu à la surface. Les oreilles les plus fines se règlent alors sur les ondes d’outre-Atlantique. Un seul facteur suffisait pour expliquer cette sollicitude qui prenait parfois des allants possessifs : la situation géostratégique d’un Maroc porte d’entrée de l’Afrique par le nord et de l’Europe par le sud ; un passage obligé entre la Méditerranée et l’Atlantique par l’ouest, avec un cap droit sur l’est. Bref, un Maroc lieu de rencontre et de brassage de tous les horizons culturels. Une position suffisante pour susciter des tentations dominatrices et attisées de convoitises peu ou pas du tout voilées. On comprend, dès lors, que le Maroc ait été le point nodal des stratégies militaires de la Seconde guerre mondiale. La dernière ligne droite vers l’anéantissement de l’Allemagne a été configurée à la Conférence d’Anfa, à Casablanca, en janvier 1943. C’est précisément à cette date que l’Office of Strategic Services (OSS), ancêtre de la CIA, a été créé. Casablanca et Tanger étaient devenues le point de ralliement d’honorables correspondants alliés, tout autant que ceux de Vichy, affectés par une Résidence française alignée sur l’Allemagne. Un nid d’espions qui a inspiré toute une littérature romanesque et des films de grande facture. Depuis, les services de renseignement américains n’ont plus lâché ce pays si particulier à plus d’un titre. Le Mouvement
national marocain a intéressé les Etats-Unis, qui étaient impérialistes sans être colonialistes. Cherchez la nuance. L’appui américain aux mouvements de libération était évidemment le bienvenu, même si l’idéal d’émancipation n’était pas la seule motivation. Les services de l’Oncle Sam ont la fâcheuse habitude de s’incruster. Ils agissent par personne interposée, souvent à travers ceux qu’on attendait le moins. Des liens ont ainsi été tissés avec des nationalistes de bon aloi, au grand dam de la Résidence française. Le milieu syndical, parfaitement connecté à la résistance urbaine, a focalisé l’attention des Américains. Irving Brown, représentant du puissant syndicat américain AFL (the American Federation of Labor), a eu des contacts assidus avec les dirigeants du syndicalisme marocain, tels Mahjoub Ben Seddik et Tayeb Ben Bouazza, avant comme après l’indépendance du Maroc. Les rapports, de tout temps, entre l’AFL, la CIA et les milieux interlopes propres à l’Amérique sont un secret de polichinelle. à tort ou à raison, l’agence américaine est devenue une hantise qui habitait la classe politique. Au commencement était son implication dans l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka. De même qu’on a vu la main de l’agence derrière les deux tentatives de putschs militaires du 9 juillet 1971 et du 16 août 1972. Dans ce jeu d’ombre et de lumière, la palme d’or revient au mouvement islamiste naissant, à très forte connotation politique. Ce mouvement aurait bénéficié, dès les années 1960 et 1979, d’un encadrement humain et d’un appui matériel conséquent de la part des Etats-Unis. Ce qui était en parfaite cohérence avec l’orientation marocaine qui entendait utiliser l’islamisme militant comme rempart contre les tendances au référentiel marxiste. En gros, ce genre de liaisons dangereuses, relevant de l’underground politique, atteste d’une constante avérée et vérifiable : la CIA ne nous a jamais quittés. Comme quoi, on ne fréquente pas la CIA impunément. C’est précisément l’objet du dossier que vous propose la présente édition de votre magazine Zamane.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION