La relation entre le Maroc et la Turquie est aussi ancienne que complexe. Elle traverse en ce moment un nouvel épisode où Ankara, de plus en plus isolée à l’international, cherche refuge au Maghreb. Et comme il y a quelques siècles, le Maroc se méfie…
La configuration est presque la même. Un empire puissant face à un pays modeste qui tente de sauvegarder ses intérêts. Contrairement au XVIème siècle, les armées ottomanes ne se permettent pas, cette fois, des incursions militaires en terres chérifiennes. Au XXIème siècle, ce sont les entreprises qui pénètrent les territoires. Et c’est justement l’un des points qui font que les deux pays connaissent un refroidissement de leur relation ces derniers mois. Depuis janvier dernier, le royaume se plaint publiquement de l’iniquité de l’accord de libre échange (ALE) avec la Turquie entré en vigueur en 2006. Près de 15 ans plus tard, le constat est en effet implacable. Le déficit commercial a atteint des records avec 16 millions de DH en 2018 dont 9,6 pour les importations de vêtements turcs. C’est donc le secteur textile marocain qui est le plus touché, et qui continue à sombrer face à son vis-à-vis turc. Mohammed Boubouh, président de l’Association marocaine des industries de Textile et d’Habillement, est monté au créneau en déclarant à la presse : «L’ALE avec la Turquie porte préjudice au secteur, à l’écosystème, aux industriels et aux milliers d’emplois qui risquent de disparaître». Face à cette situation, le gouvernement marocain entend, non pas rétablir l’équilibre, mais au moins limiter la casse. C’est certainement ce qu’a expliqué Moulay Hafid Elalamy, ministre de l’Industrie, à son homologue turc à Rabat mi-février dernier. La méfiance du Maroc vis-à-vis de la Turquie ne concerne pas uniquement le volet économique. C’est l’ensemble de la stratégie régionale d’Ankara qui met Rabat dans l’embarras. Depuis son intervention militaire en Syrie l’année dernière, Recep Tayyip Erdogan se retrouve de plus en plus isolé à l’international. Et comme un réflexe hérité de l’histoire, la Turquie se tourne vers l’une de ses régions fétiches, l’Afrique du Nord. Pendant plus de trois siècles (entre 1515 et 1830), la Sublime Porte administre directement l’Algérie. Si le Maroc reste souverain, les Ottomans ne se privent pas d’interférer dans ses affaires internes et de garder jalousement le contrôle du sort de la région. C’est ce qui se passe actuellement dans le cas de la crise libyenne. Le retour en force d’Ankara dans ce dossier, qui annonce vouloir intervenir militairement pour «soutenir le gouvernement légitime de Tripoli», écarte de facto l’entreprise diplomatique du Maroc qui avait pourtant abouti à la signature des accords de Skhirat en décembre 2015. Le royaume se voit même écarté de la conférence de Berlin consacrée à cette question, tenue le 19 janvier dernier. L’ombre de la Turquie plane de nouveau dans les cieux maghrébins.