Le 10 avril 1947, le cours de l’histoire du Maroc change. Le sultan Mohammed Ben Youssef se joint officiellement à la lutte nationaliste. Sans prononcer pour autant le mot «indépendance» dans son discours historique, le futur Mohammed V lance un appel à la libération.
Les mèches au vent de la princesse Lalla Aïcha, la population de Tanger en liesse, un sultan bravant la Résidence générale, difficile de choisir une seule image forte de cette journée historique du 10 avril 1947. Le message délivré par le sultan à cette occasion est unanime : «Le Maroc désire ardemment acquérir ses droits entiers». Il ajoute que le temps était venu pour que «le peuple qui s’éveille enfin prenne conscience de ses droits et suive le chemin le plus efficace pour reprendre son rang parmi les peuples». Bien que le mot «indépendance» ne soit pas formulé, Mohammed Ben Youssef signifie aux autorités du Protectorat que son camp est choisi, celui du Mouvement national incarné alors par l’Istiqlal. Le parti dirigé par le zaïm Allal El Fassi est l’instigateur, le 11 janvier 1944, de la publication d’un manifeste réclamant explicitement l’indépendance du Maroc. Un appel qui ne prend une profonde légitimité politique qu’avec le ralliement du Palais trois ans plus tard. La décision du sultan d’exprimer son orientation politique à Tanger n’est pas fortuite, la ville du détroit bénéficiant d’un statut bien spécial de ville internationale. Les Français n’y exercent aucune autorité et ne peuvent donc intervenir pour perturber le discours de Ben Youssef. Ce déplacement périlleux est minutieusement préparé dans les coulisses du Méchouar à Rabat. Il a été accéléré après une terrible répression menée par le Protectorat à Casablanca le 7 avril, soit trois jours avant le discours de Tanger. Pour le Mouvement national, rallier le sultan à sa cause est, à cette époque, une victoire majeure face à la Résidence générale. L’intervention de Mohammed Ben Youssef est reçue comme une déflagration à Rabat. L’impact du discours de Tanger est tel que le sultan se serait senti en danger. Selon les services de renseignements français au Maroc, le futur Mohammed V aurait élaboré un «projet secret» pour s’enfuir par avion de la zone française. Selon les archives, il aurait eu pour projet de «rejoindre au Caire les nationalistes marocains et y constituer un Makhzen en exil». Au final, les Français exilent eux-mêmes le sultan en 1953, avant un retour triomphal en novembre 1955.