Moulay Abdelah a été témoin de grands moments de l’Histoire du Maroc : l’exil de la famille royale, l’euphorie de l’indépendance, la lutte entre la monarchie et le mouvement nationaliste, les coups d’Etats militaires, la dérive autoritaire de Hassan II… Moulay Hicham revient sur ces événements et évoque la mémoire de son père.
C’est l’une des scènes les plus fascinantes du règne de Hassan II : le souverain, plié de peine et de douleur, anéanti et inconsolable, verse des torrents de larmes sur le cercueil de son frère, le prince Moulay Abdellah. Les Marocains qui regardent la retransmission télévisée des obsèques découvrent un autre visage de Hassan II : fragile, humain, trop humain pour un monarque qui ne laisse jamais transparaitre aucune faille. Le roi pleure ! En cette journée du 20 décembre 1983, Hassan II doit se séparer de son jeune frère, son protégé, son compagnon de jeu et d’insouciance, dont la présence a accompagné le chemin parcouru par le Palais sous le protectorat et après l’indépendance. Les deux frères ont toujours été ensemble, côte à côte, dans les moments de gloire et de consécration, mais aussi dans les phases difficiles et cruciales qui ont ébranlé la monarchie, à l’image du coup d’Etat de 1971, où Moulay Abdellah fut gravement blessé par les officiers mutins.
Mais c’est aussi un prince qui a vécu dans l’ombre de son aîné, écrasé par la stature et le caractère impétueux d’un roi dominant et autoritaire. Dans la plupart des images disponibles, on voit Moulay Abdellah se tenir derrière Hassan II, effacé, silencieux, manifestant parfois des signes d’ennui et de lassitude. Personne ne sait rien de ses idées, du jugement qu’il porte sur la politique de son frère, de ses rapports avec l’opposition, dont certains dirigeants sont ses amis intimes. Moulay Abdellah est une véritable énigme. Les jeunes générations ne connaissent rien de lui et les anciennes n’en gardent que des bribes. Son souvenir est réduit à une image, un spectre, une silhouette élégante et raffinée, qui rappelle celle de son père le roi Mohammed V, sans informations ni renseignements sur le personnage. Même sur Wikipédia, sa notice biographique se résume à quelques lignes, en français, où l’on évoque brièvement quelques éléments de sa vie, et notamment son mariage avec Lamia Essolh, fille d’un éminent homme politique libanais.
Pour dissiper les zones d’ombre, découvrir l’homme et ses idées et tenter de percer le mystère, la rédaction de Zamane a sollicité le témoignage de son fils, Moulay Hicham. Nous savions, avant de l’entreprendre, que l’exercice était périlleux et délicat, que les propos que nous allions recueillir seraient marqués du sceau de la subjectivité et qu’un biais émotionnel pouvait orienter les souvenirs d’un fils qui évoque la mémoire de son père. A l’heure où nous mettons sous presse, nous devinons aussi les interrogations, les soupçons et les procès d’intention que cette démarche pourrait susciter et animer. Mais au sein de notre magazine, nous sommes partis d’un constat : la rareté des écrits sur les personnages publics au Maroc, et la nécessité de diversifier les récits et les témoignages permettant d’avoir des éclairages différents. Cet entretien avec Moulay Hicham, où il revient sur la vie de son père, s’inscrit dans cette optique. Il y évoque les années du Protectorat, le conflit entre Hassan II et le mouvement nationaliste, les deux coups d’Etat, le rôle politique de Moulay Abdellah, et surtout les relations entre ce dernier et son frère aîné. Le témoignage de Moulay Hicham permet de découvrir d’autres facettes, inédites et peu connues, d’un prince énigmatique et mystérieux.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’article dans Zamane N° 33-34