Revisitant des manuscrits anciens et perpétuant la séculaire tradition des historiographes des sultans, Abdelhak El Merini brosse le portrait (flatteur) du plus mémorable des sultans alaouites.
«Quand on écrit, ou quand on prononce le nom de Moulay Ismaïl (1672-1727), disait un éditeur français contemporain, on évoque aussitôt des images de puissance politique et guerrière, des gardes noirs et des forteresses, des palais et des ambassades». Si Moulay Ismaïl est ainsi passé à la postérité, c’est bien parce qu’il a d’abord marqué ses contemporains, même étrangers et peu enclins à la flagornerie.
C’est le cas par exemple du jeune consul de France, Jean-Baptiste Estelle, arrivé à Rabat au mois de février 1690, qui décrit ainsi le sultan: «Moulay Ismaïl avait à peine dépassé la quarantaine (quand il monta sur le trône, il avait 29 ans, ndlr). C’était un homme de taille moyenne, maigre, le visage ovale, le poil noir, l’œil bien fendu et vif, plein de feu et d’activité, avec beaucoup d’esprit, naturellement valeureux, infatigable à la guerre, sévère envers ses sujets mais assez doux et traitable à l’égard des chrétiens libres qui traitent d’affaires avec lui. Ce roi, ajoute Estelle, est absolu au-delà de ce qu’on peut dire, et sachant dans quelle autorité l’autorité l’empereur de France gouverne ses sujets, il se compare souvent à ce grand prince ; il dit qu’il n’y a que cet auguste roi et lui, dont la volonté sert de loi dans leurs Etats».
Pidou de Saint-Olon nous décrit aussi Moulay Ismaïl dans le récit de son ambassade au Maroc qu’il publie en 1693 : «Il était actif, infatigable ; il avait un orgueil sans exemple». Selon lui, Moulay Ismaïl était un monarque extraordinaire «par la durée de son règne, par le nombre de ses enfants, de ses palais, de ses guerres, de ses victoires. Il observait toutes les cérémonies du culte musulman avec une scrupuleuse exactitude. Dans ses promenades à travers ses jardins, on portait devant lui le livre du Coran qu’il faisait considérer comme la règle de sa conduite. A tout instant, il arrêtait son cheval afin d’embrasser la terre et il avait à la bouche le nom de Dieu très doux et très clément. Il a fait preuve de qualités qui lui réservent une place de premier ordre dans l’histoire du Maroc».
Il était marié à une femme remarquable : Lalla Khnata Ben Bekkar, qui a joué un grand rôle dans le domaine des rapports de l’Etat marocain avec celui de l’Angleterre. Elle a dirigé une mission diplomatique à Tripoli en 1730 (dont faisait partie son petit-fils Sidi Mohammed Ben Abdellah, le futur Mohammed III). Elle fut ainsi la première ambassadrice marocaine.
Moulay Ismaïl habitait le palais de Meknès appelé «Alcazar» : «Son enceinte était formée de murailles crénelées, ses portes étaient enrichies de superbes colonnes de marbre. A l’intérieur, on comptait pas moins de quarante-cinq maisons ainsi que deux belles mosquées. A peine entré, le visiteur trouvait des galeries couvertes, des cours ornées de fontaines et entourées de colonnades. Les murs de ces galeries comme ceux des appartements étaient garnis de mosaïques et d’inscriptions à la mauresque relatant les principaux faits d’armes de la dynastie impériale…». C’est dans ce somptueux palais que le monarque a reçu la visite de la plupart des ambassadeurs étrangers et organisé ses campagnes victorieuses.
Grâce à sa puissante armée composée des Oudayas (originaires du «Soudan», création propre du sultan) et des Boukharas (composés de noirs et de harratines, ramenés par le roi lui-même de ses expéditions dans l’extrême Sud marocain et au «Soudan»), il a dominé toutes les tribus révoltées, il a affermi son pouvoir sur toutes les provinces marocaines, il a rendu au pays son unité territoriale et au pouvoir central sa force légale. Il a fait disparaître ses compétiteurs et chassé les Turcs de Beni Znassen en 1683 ; il a lutté avec acharnement pour reprendre aux Espagnols les forteresses de Maamora (1681) et de Larache (1689) ; et il a repris Tanger aux Anglais qui l’avaient occupé pendant 22 ans (1684).
Par Abdelhak El Merini
Historiographe du royaume et ancien directeur du protocole et de la maison royale