Face à l’urgence sanitaire, toutes les pistes sont envisagées. Parmi elles, remettre en service les nombreux hôpitaux désaffectés, la plupart construits durant le Protectorat. Cette solution est-elle vraiment viable ? Éléments de réponse…
La première initiative est venue de Tétouan. Comme vous le rapportait Zamane , des professionnels de la santé et des citoyens tétouanais ont signé une pétition pour réhabiliter l’hôpital Benqrich, construit en 1946 par les Espagnols. Face à l’urgence sanitaire, toutes les pistes sont activées pour faire face à la menace d’une probable surcharge des structures hospitalières au Maroc. Les FAR se sont lancées dans la construction de plusieurs hôpitaux de campagne, tandis que la ville de Casablanca est en en train de transformer la Foire de la ville en structure médicale géante.
Mais la question des anciens hôpitaux demeure. Pour savoir s’il est possible de recycler les anciens hôpitaux, nous avons sollicité Driss Moussaoui, fondateur du Département de psychiatrie de Casablanca, ancien président de l’Association mondiale de psychiatrie sociale et auteur d’une étude sur la médecine coloniale au Maroc. D’emblée, il nous apprend qu’«à peu près la moitié des hôpitaux en service au Maroc datent du Protectorat». Naturellement, ces bâtiments ont nécessité des nombreux travaux de remise en conformité. Et c’est là tout l’enjeu d’un éventuel recyclage. Driss Moussaoui explique en effet que «les standards de la médecine ont énormément évolué depuis plus d’un demi-siècle». Dans les faits, les structures du Protectorat ne semblent plus adaptées à la médecine moderne : «A l’époque, l’architecture même des hôpitaux étaient adaptée aux pratiques alors en usage. Par exemple, la chirurgie était beaucoup moins pratiquée qu’aujourd’hui. En conséquence, les blocs qui y sont dédiés étaient moins nombreux».
D’autres exemples viennent démontrer l’obsolescence des anciennes structures médicales : «Les couloirs n’ont pas été pensés pour autant de lits à roulettes, ce qui ne permettrait pas une circulation fluide aujourd’hui, surtout lors d’une situation de crise comme celle que nous traversons. Il y a aussi la question des machines, qui prennent plus d’espace car il n’en existait pas tant dans le passé».
Des structures dépassées et pas entretenues
La vitesse du développement de la pratique et du matériel médicale rend donc aujourd’hui difficile la remise aux normes des hôpitaux désaffectés du Protectorat. Pour autant, selon Driss Moussaoui, les autorités coloniales ont fait preuve d’une «vision tout à fait remarquable». Dès la construction des premiers hôpitaux au cours des années 1910 – 1920, une stratégie architecturale est vite dessinée. La première est de construire les bâtiments sur d’immenses surfaces. Moussaoui nous rappelle que «l’hôpital Maurice Gaud, aujourd’hui CHU Ibn Rochd, s’étale sur près de 36 hectares. Lyautey veillait personnellement sur ces chantiers et a ordonné de mettre beaucoup d’arbres et de fleurs car les malades aiment cela».
Outre l’ingénierie et l’architecture, l’apport colonial principal est d’améliorer la qualité du séjour des patients. Evidemment, la population la plus démunie n’avait pas un accès facile aux structures ultra modernes comme celle de l’hôpital Ibn Sina de Rabat, mais le Maroc aurait pu profiter de ce capital de départ à l’indépendance. L’Etat a-t-il raté un tournant dans ce domaine ? «Sans aucun doute», rétorque Driss Moussaoui. «Nous avons trop peu fait pour entretenir ce patrimoine. Lorsque j’ai pris mon service au Centre psychiatrique universitaire Ibn Rochd en 1979, il arrivait que des morceaux de toiture nous tombent sur la tête».
Si nous ne pouvons refaire l’Histoire, nous pouvons toujours trouver des solutions pour l’avenir, et surtout pour affronter la crise actuelle. Et il semble que les hôpitaux désaffectés ne soient pas le chemin le plus court. Driss Moussaoui estime que les solutions d’urgence résident en partie dans «la capacité de l’armée à dresser des hôpitaux de campagne modernes et bien équipés, ou dans le recyclage de stuctures plus adéquates comme la foire de Casablanca». En attendant, il sera toujours temps de trouver une nouvelle vie à nos anciens hôpitaux tout en préservant la mémoire de la médecine marocaine.
Par Sami Lakmahri