Nous revoilà dans une nouvelle séquence indéterminée d’attente. Attendre quoi? Seules peuvent les annoncer, sans risque de se tromper, les Madame Soleil et leurs observations catégoriques sur le rapport entre les configurations célestes et les affaires humaines. Comme quoi, la vie politique nationale est d’une rationalité qui défie les cartésiens les plus endurcis. Voilà quatre ministres de quatre grands pôles ministériels de la première importance qui sont démis de leurs fonctions pour des motifs antérieurs à leurs affectations actuelles. Il s’agit de Mohamed Hassad, ministre de l’Intérieur pendant les évènements d’Al Hoceïma et actuel ministre de l’Education nationale, Nabil Benabdallah et El Houssaine Louardi, qui n’avaient pas quitté leurs départements respectifs à l’Habitat et la politique de la ville et à la Santé publique. Tout autant que Larbi Bencheikh et Ali Fassi Fihri, patrons respectifs de l’OFPPT et l’ONEE. Cinq autres ex-ministres, Rachid Belmokhtar, Lahcen Haddad, Lahcen Sekkouri, Amine Sbihi et Hakima El Haite sont également concernés, ainsi que quatorze hauts fonctionnaires.
L’opération est spectaculaire. Elle devait refléter toute une volonté de réformes politiques et d’impact social dont les contours ont été tracés par le souverain, le vendredi 13 octobre 2017, lors de l’ouverture de l’actuelle session parlementaire. Les jeux sont ainsi faits. C’est à prendre ou à laisser. La marge de négociation d’une évolution des institutions vers une vraie séparation des pouvoirs reste à l’ordre du jour.
Pour le moment, la loi est forcément rétroactive dès lors qu’elle est bel et bien inscrite dans la référence traditionnelle. Mais elle n’est pas non plus d’une sacralité divine, au point de ne pas faire l’objet d’un débat ouvert et contradictoire. Après l’annonce des mesures en question, et hormis la réaction critique du PPS, on a plutôt assisté à des effusions univoques où « tout le monde il est gentil, tout le monde il est d’accord». Ce n’est vraiment pas comme cela que l’on fait avancer les choses. Même les messages transcendants n’échappent pas à des interprétations discordantes qui peuvent aboutir à la vérité du moment. Ce mode de réflexion s’applique tellement aux derniers limogeages qu’il suscite plus de questions qu’il ne propose de réponses.
Un limogeage est par définition plus une sanction à caractère professionnel et individuel qu’un remaniement dicté par un subtil jeu politique de représentation partisane au gouvernement. Le verdict de cette enquête d’un autre type, chapeautée par la Cour des comptes, est tombé le mardi 24 octobre 2017. Il ne s’inscrit dans aucune des catégories convenues. Il relève plutôt d’une pénalité collective qui se veut un dépassement des clivages politiques existants.
Il y a tout de même un indicateur commun qui agit comme un phare au large de la baie d’Al Hoceïma, la ville d’où tout est parti. Le grand projet de développement multisectoriel devait se mettre en marche dès octobre 2015, date de son lancement par le roi Mohammed VI. La première réunion de sa mise en œuvre éventuelle ne s’est tenue que près d’une année et demie plus tard. Mieux que notre mode de gouvernance qui fonctionne au ralenti, comme si nous n’avions rien à rattraper, cette distorsion entre la décision et l’exécution nous renseigne sur notre rapport au temps. Nous prenons toute notre liberté sous le slogan de «rien ne presse, il est urgent d’attendre». La tendance est méticuleusement respectée dans la gestion de la chose publique. Un «facteur non économique du sous-développement», comme l’a si bien qualifié le défunt Aziz Belal dans son dernier livre.
« Manarat Al Moutawassit » devait effectivement être ce phare dont le balayage lumineux ferait effet de locomotive économique et sociale pour la région de l’Oriental et de repères attractifs pour l’ensemble méditerranéen. Il n’en a rien été. Il n’y aurait pas eu de malversations. Mais le temps perdu n’est-il pas en soi de l’argent public dilapidé ? Ce n’est pas un appel à la chasse aux sorcières, mais juste une faille dans le rapport de M. Jettou.
Quelques questions préliminaires viennent d’emblée à l’esprit. Pourquoi avoir attendu si longtemps, le temps d’une confrontation dans la rue baptisée « Hirak Al Hoceïma », avec des dégâts et des poursuites judiciaires (toujours en cours), pour que les pouvoirs publics réagissent autrement que par l’unique argument sécuritaire ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu un contrôle continu, par étapes convenues, sur l’avancement d’un projet aussi grandiose? Pourquoi ce « Manar » transméditerranéen n’a même pas eu la luminosité suffisante pour éclairer les premiers pas de nos responsables élus ou administratifs ? Et puis, pourquoi a-t-il fallu que le souverain s’en mêle pour que le couvercle soit levé sur un ragout pas très ragoutant ? Une dernière question pour la route, par quel mystère insondable le gouvernement Saâd-Eddine El Othmani, né dans la douleur, tient-il toujours en place ? Le Chef du gouvernement semble avoir pris goût à sa chefferie. Une addiction fulgurante du psychiatre. Désormais, les responsables devront rendre compte de leurs responsabilités, nous rassure-t-on, sans autre coup d’œil sur ce qui se passe.
En somme, un « séisme » sous contrôle. Mieux vaut tard que jamais.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION