La presse, tous supports confondus, telle qu’elle est qualifiée par ceux qui l’exercent, est « le métier de toutes les difficultés », pour ne pas dire de tous les défis. Rien n’est plus vrai, dans un environnement comme le nôtre. Mais en validant ce jugement, on n’a pas tout dit. Encore faut-il préciser la nature et l’objet de ces difficultés et ces défis. Force est de reconnaître qu’une évaluation sur ce registre n’est pas forcément en faveur de la presse. Notre paysage médiatique inspire plutôt la déception et l’amertume, parfois même une réelle désolation. A tel point qu’on se demande si la presse nationale n’entretiendrait pas, elle-même, un instinct irrésistible d’autodestruction. L’affaire Bouachrine est à ce titre un malheureux exemple qui résume l’état actuel de la presse et l’esprit qui l’anime. Bien que les chefs d’accusation retenus contre lui relèvent plus du Code pénal que du Code de la presse, il est regrettable que cette affaire existe et qu’elle prenne corps. Encore faut-il que la présomption d’innocence soit respectée jusqu’à plus ample vérification des faits supposés et de leurs fondements juridiques. Quoi qu’il en soit, la presse n’avait pas besoin d’avoir sur les bras cette chronique judiciaire. Ce à quoi on assiste aujourd’hui, c’est à qui ira le plus loin dans le sensationnel de l’information, sans le passage obligé par le tamis vérificateur et le recoupement d’usage. C’est à qui mettra la main avant les autres sur un « scoop » qui se révèlera complètement bidon, pour avoir été monté de toutes pièces. Ajoutez à cela que chaque édition ne vaut que par son pesant de sang et de larmes sur fond de drames sociaux. Ces faits de société existent, même s’ils sont traqués dans les poubelles de la justice. Mais à les mettre constamment en exergue, sans qu’on en ait une quelconque exclusivité, ils donnent l’impression que notre quotidien n’est fait que d’horreurs et de lamentations. Le champ politique n’échappe pas à ce traitement réducteur dans une démarche éclectique, sans autre forme de nuances et d’équilibre, seuls sont mis en avant les faits les plus scabreux et les plus scandaleux commis par les hauts dignitaires de la chose publique. Il n’est pas dit pour autant qu’il faille dépasser ce silence et de les faire passer par la règle qui confirme l’exception et non l’inverse. Il est juste requis que ce quatrième pouvoir soit à la hauteur de cette classification révolutionnaire, chez nous, tout comme sous les cieux où la presse participe à l’ancrage historique de la démocratie. C’est là un challenge où la liberté de la presse a fait fonction de vecteur référentiel, pour donner la mesure à toutes les libertés individuelles et collectives. Dans ce domaine, plus qu’ailleurs, un regard rétrospectif sur les origines et l’évolution de la presse rafraîchirait la mémoire des anciens, sur plus d’une génération, et enrichirait celle des jeunes premiers. La presse marocaine et la liberté qui va avec sont nées sous la contrainte du Protectorat et la frilosité des pouvoirs publics de l’après-indépendance. Une lutte permanente pour laquelle les précurseurs ont payé de leur liberté ; même si le contexte n’est plus le même. Malheureusement, les valeurs fondatrices non plus. Il y a eu évolution à divers degrés de régression que chacun appréciera selon ses convictions et son rapport à ce métier.
Dans cet imbroglio, une institution est censée permettre d’y voir un peu plus clair, avec un peu de discernement de la part des lecteurs. Promu au rang d’institution constitutionnelle depuis le texte réformé de 2011, tous les regards sont tournés vers ce nouvel intervenant d’arbitrage dans le champ médiatique qu’est le Conseil national de la presse. Il y a tout de même un gros « mais ». Si on prend les mêmes têtes pour reproduire le même spectacle désolant qui sévit actuellement, ce serait plus que des espoirs déçus, une régression désastreuse. Bref, le coup de grâce d’une presse très mal en point, où les atteintes à l’éthique professionnelle le dispute aux difficultés chroniques de trésorerie.
PAR YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION