Un ancien membre et fondateur du Polisario, parmi ceux qui ont regagné le Maroc, clama lors d’un débat public qu’il «faudrait redéfinir le Maroc». C’est cette redéfinition qui pourrait donner un sens à la trajectoire du militant sahraoui, sinon il serait confiné dans ce qui est appelé «un rallié», c’est-à-dire quelqu’un qui a souscrit à un contrat d’adhésion, sans plus. La réflexion du militant sahraoui nous interpelle tous. Ce qu’on appelait et ce qu’on appelle encore une identité, est évolutif et ne peut être circonscrit à une notion figée. Le Maroc avant le Protectorat se définissait par l’allégeance à un souverain, eu égard souvent de sa dimension religieuse. Ce que le Maroc est devenu au lendemain de l’indépendance est une transposition du modèle jacobin et du discours nationaliste qui était un ersatz, à la fois du legs colonial et de l’influence du nationalisme arabe. C’est cette vision qui provoqua ce qui était appelé «l’irrédentisme berbère», puis «le séparatisme sahraoui». Bien plus tard, le Maroc a appris à se réconcilier avec son histoire et son environnement. Ceux qu’on taxait de «peu patriotes», voire de «traîtres», avaient le «tort» d’avoir une autre idée du Maroc et de fait d’être en avance sur leur temps.
Le Maroc ne saurait être circonscrit au seul espace géographique, ni être appréhendé par le seul vecteur économique. Ce qui fait le passage de la barbarie à la civilisation n’est pas l’économie, mais la culture, comme l’a si bien dit, tout récemment, le prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa (Le Monde du 8 septembre 2014).
Le Maroc, n’est pas une ethnie ou un assemblage ethnique, combien cela est réel. Le Maroc n’est pas non plus un ensemble de sous-cultures, comme on a tendance de nos jours, à claironner, même si cela est vrai. Ce qui fait l’Amérique ce n’est pas sa diversité, mais plutôt le vouloir-vivre en commun, malgré cette diversité. La Constitution américaine ne parle ni d’héritage judéo-chrétien, ni de souche anglo-saxonne, ni de dimension irlandaise ou italique, mais d’une nation qui s’appelle «l’Amérique», soudée par des valeurs communes.
Cette filiation qui a une histoire séculaire est-elle consacrée par un quelconque texte fondamental chez nous ? Hormis la référence à l’islam et à la monarchie, pas autant que je sache. Car, ce qui forge une nation, ce sont ses heurs et malheurs intériorisés par toutes ses composantes. Avons-nous une fête nationale qui renvoie aux grandes gestes les plus reculées de notre histoire, ou même aux grandes épreuves de notre pays ? La plus vieille séquence est celle qui renvoie à la signature du Manifeste de l’indépendance du 11 janvier 1944, controversé de surcroît. C’est réducteur pour une vieille nation. L’impératif du devenir commun transparaît-il dans nos textes ? Pas suffisamment. C’est un peu cet exercice entre passé et devenir qui fait une nation, beaucoup plus que la dictature du présent. Le présent est visqueux et vaseux.
On a pensé, au lendemain de l’Indépendance, à fédérer les Marocains autour d’une langue commune, à l’image du schéma des nationalismes européens. C’était bien sûr sans tenir compte de la diversité linguistique du Maroc, du caractère élitiste de la langue arabe classique, érigée en langue norme. Elle fut rehaussée, à un moment, au statut sacro-saint, à côté du triptyque, islam, monarchie et intégrité territoriale. On n’en est plus là. Et l’amazigh et la culture bidane (plutôt que sahraouie) et son vecteur linguistique, hassani, ont désormais droit de cité.
Une Américaine, amie de Lyautey, Edith Wharton, avait vu en le Maroc une Amérique en miniature. Il l’est par sa texture ethnique, mais quid de ce liant de valeurs qui fédère les Américains ? De grands orientalistes, tels Charles Pellat, Louis Massignon et Jaques Berque, avaient pensé ressusciter Al Andalus en cette terre qui est la nôtre. Ils pensaient réussir un mariage heureux entre Occident et Orient, entre rationalité et spiritualité. Leur conception de cette Al Andalus ressuscitée ne renvoie pas à un passé figé, mais à un projet en devenir. La même idée fut reprise par des nationalistes marocains et réduite à des litanies et des référents nostalgiques qui étaient loin de renvoyer à la grandeur d’Al Andalus, mais plutôt à sa décadence. De part leur cursus traditionnel, ils n’avaient pas les outils académiques modernes pour reconstituer cette «Al Andalus». Elle n’existe pas à l’état brut. Elle est une idée. Elle incarne ce mariage heureux entre Occident et Orient, rationalité et spiritualité, sens de la beauté et efficacité. Elle ne s’oppose pas au fond berbère, puisqu’elle est son incarnation, ni aux origines sahraouies, puisqu’elle est son produit fini. Un homme incarne cette jonction, Youssef Ibn Tachfine.
Les militants sahraouis de la première heure se définissaient comme des héritiers des Almoravides. C’est à leur honneur. Mais, nous tous, nous nous présentons comme des descendants des Almoravides, c’est-à-dire, à l’idéal qu’ils incarnent.
Et si nous définissions le Maroc comme une Amérique en miniature, fédéré par un idéal et une réincarnation d’Al Andalus, une terre où Occident et Orient ne se tournent pas le dos ? Pour cela, il faut plus que des slogans ou de simples velléités, sans lendemain, ni outils.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane
De quel Maroc (Al- Maghrib) parle -t-0n?