Il y a des faits, grossièrement appelés « faits divers », par lesquels un mal silencieux et profondément enfoui de la société apparaît à la surface. Il s’étale sous nos yeux ahuris qui découvrent un côté pas beau du tout de nous-mêmes. Un peu comme si nous vivions avec, sans le savoir ou en faisant semblant de ne pas le savoir.
Alors que l’on vaquait au farniente aoûtien, une jeune fille de 24 ans est victime d’une agression sexuelle sous la forme hideuse d’un viol collectif. On a du mal à imaginer que le crime ait été commis dans un bus. Pas moins de cinq mineurs et un adulte étaient de la partie. Dans une ville comme Casablanca où les bus sont généralement pris d’assaut, les passagers ont dû se rendre compte de ce qui se passait en leur présence. Incroyable mais vrai, personne n’est intervenu. Comme si l’acte en lui-même n’était pas suffisamment odieux, Zineb était une handicapée mentale. L’absence de réaction des témoins présents est terriblement inquiétante. Elle pose une question tout aussi terrifiante.
Sommes-nous une société intrinsèquement violente qui ne dit pas son nom ? Ou, pire encore, une société anesthésiée à dose de cheval, au point d’assister, en temps réel, à un drame inqualifiable sans que cela ne dépasse l’indignation horrifiée, mais néanmoins tardive, de l’opinion publique et une émotion certaine des médias d’ici-même et outre-Méditerranée ?
On quitte ce fait qui relève du droit commun, stricto sensu, pour un autre type de violence auquel nous ne sommes pas étrangers. Après l’implication de cinq Marocains au moins dans les attentats survenus, les 17 et 18 août 2017, à Barcelone et à Cambrils, en Espagne, presque simultanément, un autre Marocain a été interpellé pour attaque à l’arme blanche contre de paisibles piétons à Turku, en Finlande. Cet énergumène, tout comme ses acolytes de la même veine, reprochent à leurs victimes d’exister sans être musulmanes. En remontant dans le temps, histoire de faire le plein de rappels du même tonneau, il y avait aussi des Marocains à l’origine d’attaques en préparation ou réellement exécutées, avec des cibles comme Bruxelles, le 20 juin 2017, ou Paris le 13 novembre 2015. Dans le même registre de crimes, toujours présents dans les corps et les esprits, lors de l’attentat contre la gare ferroviaire Atocha, à Madrid, en 2004 (194 morts), il y avait aussi, voire essentiellement, des terroristes marocains.
Quelles que soient les motivations premières, la violence est le dénominateur commun qui relie tous ces méfaits, à différents degrés de dégâts humains. La même question lancinante revient à l’esprit. Sommes-nous dans une société qui sécrète la violence à «l’insu de notre plein gré» comme disait l’autre, mais néanmoins en connaissance de cause et des facteurs déclencheurs ? Qu’il s’agisse d’ignorance comportementale, de pulsions primaires à caractère criminel ou de boucliers religieux considérés comme vérité transcendante, le constat patent est qu’il y a plusieurs formes de violence. Elles sont tellement transversales que nous ne sommes quittes avec aucune d’entre elles.
C’est tout l’objet du dossier de ce numéro de Zamane. Alors cramponnez-vous ! Nous partons pour le survol périlleux d’un espace à haut risque. Le registre est trop long pour en faire le tour exhaustif. Dès la naissance, nous sommes confrontés à une violence parentale au nom du père comme autorité supérieure qui porte la responsabilité de l’enfant. Arrive dans la foulée la très mal nommée «violence éducative», celle du fqih dans le msid (école coranique) ou de l’instituteur d’une école primaire hâtivement affublée de l’adjectif moderne. Un mal pour un bien improbable, soigneusement visité par Karim Boukhari, notre directeur de la rédaction. La misère, sous toutes ses formes, ou l’absence de conditions de vie décentes, est également une violence de tous les jours. Un terreau favorable qui s’exprime par la haine de l’autre, au moindre signe d’aisance matérielle. La violence contre les femmes est à l’évidence la plus endurcie de toutes. Apparemment, les réformes des différents codes de conduite sociale, famille, travail ou droit pénal ont du mal à trouver leur traduction sur le terrain.
La violence au nom de la foi est celle qui règne actuellement avec fracas de par le monde. Nous y sommes associés, à notre corps défendant. Dans sa contribution, Hassan Aourid en explique les ressorts et les pratiques.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION