A l’occasion du 8 mars, journée internationale de lutte des femmes pour l’égalité des droits, Zamane a interviewé Nouzha Guessous*, cette féministe chevronnée qui a siégé de 2001 à 2003 au sein de la Commission consultative royale chargée de la réforme de la Moudawana. Retour succinct sur des thématiques liées à la cause des femmes et leur nécessaire lutte pour l’égalité.
Vous avez été, en tant que membre de la Commission royale de réforme de la Moudawana en 2003-2004, une des rares à vous être exprimée clairement durant les travaux de cette commission, avoir laissé entrevoir les difficultés et impasses … Pouvez-vous nous relater cette expérience inédite ?
Il est impossible de relater ici la totalité de cette expérience, cela a duré trente mois. Aussi je renvoie les lecteurs intéressés à l’article publié en 2004 dans Manchourate Azzamane (1), où j’avais relaté les grandes étapes par lesquelles nous sommes passés. Lorsque je me suis exprimée pendant les travaux, j’ai mentionné, en étant tenue au devoir de réserve, qu’il y avait des difficultés de dialogue au sein de la commission, et que je craignais des impasses. La composition de la commission nous mettait face à une situation inédite, dans l’histoire du monde musulman, dans la mesure où, pour la première fois, une commission chargée de rédiger un projet de loi régissant les relations au sein de la famille, comportait des femmes en son sein. Cela imposait un temps de dialogue qui n’était pas simple, afin d’établir un certain niveau de confiance.
Cette expérience était particulièrement passionnante durant tous les mois qu’ont duré les travaux … C’était épuisant ?
C’était des heures et des heures de travail par jour, et ce parfois pendant quatre à cinq jours suivis. Nous quittions nos domiciles respectifs. Nous étions logés, pour ceux qui n’habitaient pas Rabat, dans le même hôtel, et nous travaillions quelquefois plus de huit heures d’affilée. C’était épuisant physiquement et psychiquement. Mais c’était extrêmement enrichissant. J’en suis ressortie différente, avec un regard plus diversifié, plus nuancé.
Propos recueillis par la rédaction
Lire la suite de l’article dans Zamane N° 52
Mise au point importante:
Le titre de l’interview qui est mis en manchette, à savoir »La question du voile me fatigue » est une pure initiative de la journaliste, Mouna Lahrech, et de la rédaction du magazine Zamane, sans concertation préalable avec moi-même. Cette phrase que j’ai dite en réponse à une question sur les changements des codes vestimentaires au Maroc ne dit rien de l’ensemble de l’interview et ne représente en aucun cas une déclaration ou une idée phare. Elle ne reflète en rien le contenu de l’interview qui a porté sur le processus et l’évaluation de la réforme de la Moudawana et des droits des femmes au Maroc.
Aux lecteurs d’en juger, et à la rédaction du Magazine de s’expliquer sur ce choix.
Mise au point non moins importante – quelques mois plus tard, certes – d’une journaliste, auteure de cette interview. A l’attention expresse de Madame Nouzha Guessous – puisque je suis nommément citée et attaquée – et des quelques curieux qui pourraient lire ces lignes.
Je dois ici justifier une série d’à peu près malheureux, qui ont conduit à la publication de cette interview en l’état :
– Le (la) journaliste, en presse écrite, se borne, c’est notre déontologie qui veut cela, à écrire un article – ou retranscrire et réécrire une interview – éventuellement à proposer un titre et un chapeau (ce que nous appelons dans notre jargon la « titraille », un mot particulièrement laid, s’il en est, mais très technique). Cette « titraille » est du ressort et de la responsabilité du secrétariat de rédaction du titre en question.
– Je me souviens parfaitement des conditions dans lesquelles cette interview a été réalisée – interview que j’avais intégralement retranscrite (une quarantaine de pages, si mes souvenirs sont bons).
Une interview de cette qualité, avec autant d’informations, aurait dû nécessiter plus de temps.
J’ai eu, à cette période post-hivernale, un rhume grave et carabiné dont j’avais eu du mal à me remettre.
– Il aurait fallu, à la veille du bouclage de cet excellent magazine qu’est Zamane, que j’analyse et traite, sans redites, et avec rigueur, des milliers d’informations.
Précision de taille : je ne suis pas une machine informatique, mais un être humain.
Avec des défaillances.
– Madame Nouzha Guessous, qui connaissait le fil de son propos, m’a donné les réponses essentielles qui figuraient dans la retranscription intégrale de cette interview. Le résultat qui en est ressorti est certes perfectible. Je n’avais pas ce fil d’Ariane. Le labyrinthe était particulièrement complexe. Avec du temps, j’aurais pu analyser et traiter correctement cette masse d’informations. Je n’ai pu le faire, par manque de temps, et d’énergie.
– Je ne suis absolument pas satisfaite, en tant que journaliste, des conditions dans lesquelles cette interview a été réalisée, et je m’en suis excusée, à maintes reprises, auprès de Madame Nouzha Guessous. Cela faisait très longtemps que je n’avais pas mené d’entretien – j’avais donc un peu perdu la main, ce qui peut se comprendre. J’étais, je le répète encore une fois, grippée – la bande sonore, à la disposition de madame Nouzha Guessous, peut en attester. Je n’ai pu préparer cette interview comme il l’aurait fallu.
– Je remercie Zamane d’avoir tout de même publié cette interview, malgré des réponses extrêmement longues qui nuisent au dynamisme d’un entretien correctement mené, ce que j’ai pourtant tenté de faire, avec toutes les contraintes dues à ce contexte particulier : manque de temps pour le traitement de l’information, manque d’énergie, une interlocutrice qui s’est répétée à plusieurs reprises …
Quant au titre …
La question du voile, dans un pays de plus en plus atteint par l’idéologie islamiste, est essentielle.
Entre une photo d’une rue de Casablanca dans les années 70, et une autre, prise en ce XXIe siècle déjà bien entamé, il n’y a pas, c’est le cas de le dire, « photo ».
Madame Nouzha Guessous se dit « fatiguée » par la question du port du voile. Soit.
Le titre que j’ai proposé n’a rien à voir avec le contenu de l’interview. Soit encore. Il a tout de même été retenu par le secrétariat de rédaction, c’est un choix éditorial dont je ne suis pas censée être responsable, mais que j’approuve.
Ceci dit, je ne travaille plus pour Zamane, je peux donc m’exprimer en toute liberté, et je serais infiniment reconnaissante à l’équipe rédactionnelle de publier ces quelques lignes.
Tout rôle de journaliste mis à part, donc, à mon humble et simple échelle de Marocaine imparfaite, qui constate que le peu de droits et de libertés accordés aux femmes, durement acquis en plus cinquante ans d’indépendance, sont actuellement en danger, cette question, celle du voile, ne me lassera, ni ne me fatiguera jamais. J’espère de tout cœur que mon avis est partagé par de nombreuses femmes, et de nombreux hommes.
Le nécessaire combat des femmes pour plus d’égalités – c’est également le combat de nombreux hommes qui ont compris l’importance du rôle des femmes dans une société moderne – me tient à cœur. L’islamisme est une menace. Le voile, symbole d’oppression, d’inégalité, en est un symbole.
Mouna Lahrech.