Connu pour être un carrefour des civilisations, le Maroc cache ses trésors archéologiques depuis des milliers d’années. Pourquoi ?
On vient de découvrir des lieux d’habitat de transhumants préhistoriques dans le Haut-Atlas, à Oukaimedden. Malgré un siècle de recherches, personne jusque-là n’avait fait ce genre de découvertes». Youssef Bokbot, expert en culture, patrimoine et archéologie à l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (INSAP), se félicite de ce récent exploit. « Sur les dalles rocheuses, on reconnaît des inscriptions en Tifinagh et des animaux sauvages : éléphants, félins, antilopes, oryx, rhinocéros, autruches…», détaille-t-il. Les objets découverts sur le site remontent à l’âge du Bronze (de 1 800 à 900 ans avant l’ère chrétienne) et sont identiques à ceux mis au jour plus au sud, dans le désert africain. « Cette découverte rejette l’hypothèse selon laquelle les Amazighs ont toujours importé le savoir de l’Europe. Elle peut aussi appuyer la thèse des origines africaines des Berbères », défend Youssef Bokbot. Faire parler les terres, pierres, vestiges et autres traces humaines ou animales pour mieux comprendre notre Histoire, c’est à cela que sert l’archéologie. Une découverte archéologique peut ainsi renverser des siècles d’Histoire. « Dans la recherche historique, nous sommes souvent confrontés à des vides, au niveau du temps et de l’espace. Le rôle de l’archéologie est de les combler», explique Ahmed Achaaban, historien et archéologue à la faculté des Lettres de Ain Chock. Et d’ajouter : « L’archéologie sert aussi à confirmer, à contredire ou à rejeter les écrits, qui sont souvent subjectifs ».
« Moisi dans des cartons… »
Les premières fouilles archéologiques menées au Maroc remontent au début du protectorat. A l’époque, les efforts se sont principalement concentrés sur l’héritage romain, byzantin et carthaginois. «C’est normal, les Européens cherchaient essentiellement leurs traces en Afrique du Nord», analyse Zineb Aouad, historienne et spécialiste de l’antiquité. Plusieurs sites archéologiques ont alors été ouverts aux fouilles et «grâce au travail effectué pendant le protectorat, nous avons pu avoir beaucoup de détails sur l’occupation romaine et byzantine de l’époque», poursuit-elle. Mais aucun contrôle n’a accompagné le travail de ces chercheurs. Après la fin des missions, les sites ont été laissés à l’abandon, sans aucun souci de préservation. Les pilleurs ont raflé ce qui avait été épargné par les archéologues français.
Depuis l’Indépendance, la cadence des fouilles a ralenti. Des expéditions scientifiques ont continué d’être menées au Maroc mais davantage dans l’optique de compléter les recherches entamées durant le protectorat. « Entre 70 et 80% de la totalité du travail archéologique réalisé au Maroc date de l’époque du protectorat », affirme Ahmed Achaaban. Les méthodes non plus n’ont pas changé. « Dans les années 1980, une expédition américaine a passé plusieurs années au Maroc. Ils ont fouillé dans tout le pays. Personne ne sait ce qu’ils ont découvert, ni ce qu’ils ont pris. Nous savons aussi qu’ils ne respectaient pas les procédures scientifiques », dénonce-t-il. « Quand j’ai travaillé sur les mosaïques de Volubilis, j’ai été sidérée par l’état du site. Tout le carrelage qui a été excavé par les archéologues étrangers n’a pas été remis en place. Il a moisi dans des cartons pendant des années », se désole Zineb Aouad.
C’est en 1986 qu’est créé l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (INSAP). Le Maroc veut reprendre en main sa mémoire et son passé. Une dizaine d’archéologues marocains, diplômés des universités françaises, ont répondu présent. La nouvelle politique est intransigeante. Le but est d’inclure des archéologues marocains dans toutes les expéditions étrangères. « C’est d’autant plus important que nous n’avons pas les moyens de lancer des programmes sans faire appel à des étrangers », justifie Youssef Bokbot.
Des moyens justement faméliques. L’Institut est en effet doté d’un budget de 1,4 million de dirhams par an, servant à couvrir les frais de fonctionnement et le financement des expéditions. Des sommes dérisoires qui ne permettent pas de consacrer plus de 20.000 dirhams par mois à une campagne de fouilles, soit dix fois moins que les programmes de coopération internationaux. Ce qui a poussé les chercheurs de l’Institut à garder le contact avec l’étranger. « La majorité de nos travaux sont réalisés dans le cadre des coopérations étrangères », reconnaît Bokbot. Mais bien sûr il y a une contrepartie : l’orientation des recherches est décidée par les bailleurs de fonds…
Recherche sélective
Autre handicap : l’INSAP a été placé sous la tutelle du ministère de la Culture et aucun dialogue entre l’Institut et les universités n’est signalé. Ses travaux ne sont jamais répercutés dans les départements d’Histoire. Pire: il n’existe aucune filière archéologie dans tout le pays. « Rares sont les universités qui comptent un archéologue dans leur corps enseignant », regrette Ahmed Achaaban. Les archéologues universitaires, quand il y en a, se contentent d’effectuer des prospections, les universités ne disposant d’aucun budget pour mener des fouilles. D’ailleurs, leurs demandes d’autorisation pour fouiller, quand ils parviennent à obtenir un financement privé, sont systématiquement refusées par l’INSAP, seul habilité à les délivrer. Plusieurs querelles ont donc éclaté entre les universitaires et la direction de l’Institut. Les premiers reprochent au second le « verrouillage et l’orientation » des fouilles archéologiques. « Certaines époques et régions ont été négligées par rapport à d’autres », concède Youssef Bokbot. Un simple coup d’œil à la rubrique INSAP sur le site du ministère de la Culture semble lui donner raison. Presque tous les programmes en cours concernent l’antiquité. Ainsi, les quatre siècles les plus obscurs de l’Histoire du Maroc, soit du début de la conquête arabe jusqu’aux Almoravides, n’ont jamais été déterrés. La période alaouite est également passée sous silence. Géographiquement, l’intérieur du Maroc et le Sahara sont restés ignorés, à l’exception des sites antiques.
« Un jour, je suis passé à côté d’un chantier dans le quartier Lissasfa à Casablanca. Les ouvriers étaient affolés suite à la découverte d’un squelette. J’ai demandé aux ouvriers d’arrêter et j’ai pris une photo. Le soir même, j’ai envoyé un fax accompagné de cette photo à l’INSAP et à la Direction du patrimoine. Le lendemain, j’y suis retourné, j’ai vu que les ouvriers avaient tout rasé après avoir alerté l’autorité locale. Dix jours plus tard, un chercheur de l’INSAP s’est manifesté, pour m’informer qu’il avait pu récupérer le crâne chez le médecin légiste. Mais il a jugé qu’il n’était pas important puisqu’il ne date que de quatre siècles », raconte Ahmed Achaaban avec regret. Une anecdote qui en dit long sur la situation de la recherche archéologique au Maroc…
Bonjour,
afin de pouvoir citer correctement l’article intitulé « Tu ne fouilleras point! » (actuellement en ligne sous l’url https://fr.zamane.ma/tu-ne-fouilleras-point/) dans un article scientifique, pourriez-vous me dire, s’il vous plaît, 1) s’il est paru sous forme papier dans Zamane 25 (novembre 2012) – les numéros théoriquement accessibles dans votre Kiosque ne s’ouvrent pas – ou sinon dans quel numéro papier; si sa pagination y est p.3-4 ou sinon quelle en est la pagination, 3) si son auteur est Abdelahad Sebti ou sinon quel en est l’auteur.
Je vous en remercie d’avance.