Peut-on dater la naissance du «Casablanca moderne» au début du Protectorat ?
Je n’utiliserais pas ce marqueur temporel de 1912. Pour moi, cet épisode est plutôt une renaissance. L’histoire moderne de Casablanca remonte à plus longtemps. Cet aspect de ville pionnière, qui est également une renaissance à l’échelle de l’Histoire, remonte au XVIIIe siècle sous le règne du sultan Mohammed Ben Abdellah (1756-1790). C’est à cette époque que se manifeste une réelle volonté politique de régénérer un territoire. Evidemment, son développement n’est pas comparable avec celui que connaît la ville au XXe siècle. Mais au moins, sur le plan urbanistique, il existe déjà un désir de cadrer ce territoire par des équipements comme la mosquée et les enceintes. Dans le même temps, un apport de population juive et musulmane vient nourrir la ville en développant le commerce, et en établissant une garnison militaire et un noyau administratif. L’heure était à un virage du Maroc vers l’Atlantique, comme le confirme la fondation d’Essaouira à la même époque.
A cette époque, la ville est-elle déjà prévue pour un essor important ? Son potentiel est-il ressenti ?
C’est difficile à dire. En revanche, il est certain que Casablanca appelée alors Anfa, fait partie d’un dispositif important pour le développement et la défense du littoral atlantique. Mais un peu plus tard, au XIXe siècle, le sultan Hassan Premier (1873-1894) se projette d’avantage dans le futur essor de la cité. Preuve en est sa volonté de construire «sour ajdid» (la nouvelle muraille) au début des années 1890 qui permet l’extension de l’ancienne médina côté ouest. Pour l’époque, l’ampleur d’un tel chantier est un indice de l’importance stratégique déjà octroyée à la future Casablanca. C’est d’ailleurs à ce moment que les deux caractéristiques principales de la Casablanca moderne apparaissent : le commerce et la migration. Cette dernière est singulière car il n’existait pas vraiment de population autochtone ancienne. L’histoire tourmentée d’Anfa a fait en sorte que la ville ait été dépeuplée plusieurs fois à cause notamment de catastrophes naturelles, comme le séisme de 1755. Une migration d’ailleurs bien plus variée que ce que les clichés laissent entendre. Non seulement il ne s’agit pas que d’exode rural, mais le peuplement de Casablanca est aussi international. Des communautés italiennes ou espagnoles s’y sont installées avant même la signature du traité du Protectorat avec la France. Une identité qui fait qu’aujourd’hui, les Casablancais sont d’ici et d’ailleurs.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°60