Derrière le scandale de l’affaire Eric Laurent – Catherine Graciet, c’est tout un pan des rapports historiques entre le Maroc et la France, mais aussi entre le pouvoir et ses habituels pourfendeurs, qui est mis à l’index. Zamane approfondit la question en interpellant deux intellectuels de qualité.
Dans l’affaire Laurent – Graciet, deux camps se font face et tiennent des discours radicalement opposés. Du côté marocain, Eric Laurent et Catherine Graciet se sont servis du projet d’un livre à charge dans le but de monnayer sa non publication. Pour les journalistes français, le Palais a fomenté un piège dans lequel ils reconnaissent être tombés tout en niant la tentative de chantage et d’extorsion. Quelle version vous semble la plus crédible ?
Alain Gresh : D’abord, il est incontestable que les règles élémentaires de déontologie journalistique ont été bafouées par ces deux journalistes. Pour moi, cette attitude est tout bonnement inacceptable. Quant à savoir sir cette affaire est un piège tendu par le Palais, il me semble que nous n’avons pas suffisamment d’éléments pour le justifier. Ceci étant, ce qui m’intéresse le plus est de comprendre le réel contenu du livre prétendument en préparation. C’est dans les révélations supposés que se joue le cœur de cette affaire. Une enquête est en cours, il est sage d’en attendre les résultats pour se prononcer d’avantage.
Abdelhay Moudden : Il y a le volet juridique qui sera tranché par les juges français, selon les lois françaises. La décision du tribunal reflètera non seulement les données offertes ou retenues par les deux parties mais aussi les caractéristiques spécifiques à la culture et à la tradition juridique française. Quelle que soit la décision, il faudra la lire dans le contexte national français. La nouveauté de la question est aussi importante que le contexte. Qu’un système classé comme non démocratique cherche à manipuler la presse, cela est considéré comme une évidence, un fait divers. Mais que des journalistes reconnus par leurs écrits critiques envers des régimes autoritaires corrompus admettent être mêlés à des actes contraires au standard des pratiques de la profession du quatrième pouvoir, et à l’éthique de l’investigation, voilà qui renverse l’image classique de la confrontation entre, d’une part, un chef autoritaire, obsédé par la manipulation de la vérité, et d’autre part, le bon journaliste intègre qui milite pour nous livrer ladite vérité.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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