L’une des principales historiennes du Maroc a longuement travaillé sur le cas de Sebta et Melillia. L’occasion pour Zamane de se rendre chez Halima Ferhat afin de parcourir l’histoire complexe des deux enclaves espagnoles.
Peut-on, en 2018, parler d’une affaire coloniale concernant Sebta et Melillia ?
Nous devons toujours être précis dans l’utilisation des mots. Dans le cas des deux enclaves espagnoles, il s’agit clairement d’une terminologie appropriée. Sebta et Melillia sont encore aujourd’hui un fait colonial. Tous les critères d’une colonisation sont remplis concernant cette affaire. Sebta est même une situation doublement coloniale puisqu’elle a été prise d’abord par les Portugais en 1415, avant de tomber définitivement dans l’escarcelle espagnole en 1580 suite à l’affaiblissement de l’empire portugais un siècle plus tôt (depuis la bataille dite des trois rois livrée contre le Maroc). Dans tous les domaines, politique, militaire géographique et économique, les deux enclaves répondent donc à une logique de colonisation. Il est important également de citer dans cet enjeu colonial le cas de Gibraltar. Bien que le rocher met au prise deux anciennes puissances coloniales, il n’en demeure pas moins un cas de rapport entre dominant et dominé. Et dans ce cas, c’est bien l’Espagne qui se trouve en situation de colonisé. Pour revenir à Sebta, il ne faut pas oublier que ce bastion de la Méditerranée était de tous temps l’objet de convoitise. Un grand nombre de documents historiques viennent étayer cette réalité. Raids militaires, affaires d’espionnage et lutte d’influences font partie de l’histoire mouvementée de Sebta. Outre ce qui s’apparente à des enjeux religieux ou nationalistes, Sebta est, ne l’oublions pas, d’abord un enjeu économique. C’est encore le cas aujourd’hui.
Vous soulignez le cas de Sebta et de la convoitise qu’elle suscite. Peut-on parler d’une place forte dans la région ?
Cela dépend de la période. Comme la plupart des villes, Sebta a connu des hauts et des bas en termes d’attractivité. Sans remonter jusqu’à l’antiquité, ce port méditerranéen à été pendant longtemps le principal débouché de la voie commerciale transsaharienne. L’or, le sel, le pourpre est d’autres richesses empruntaient la route partant du Sahel, en passant par Sijilimassa, pour enfin être débarqués en méditerranée via le port de Sebta. Cette voie commerciale a longtemps fait la richesse du pays et de son principal port méditerranéen. Mais avec la montée en puissance des marines européennes, cet axe perdit peu à peu de son influence. Ce sont d’ailleurs les Portugais qui, les premiers, ont commencé à détourner les routes de commerce terrestre grâce à leur flotte en contournant le Maroc par la côte atlantique. Le résultat est l’affaiblissement de Sebta et la disparition de Sijilmassa. Ce fait historique a changé le destin de Sebta qui se transforme de pôle économique majeur en un enjeu politique et militaire. Sebta est d’ailleurs une ville symbole de l’évolution du Maroc à travers l’Histoire. Sa prise par les Portugais au début du XVème siècle inaugure une période d’occupation des villes côtières marocaines. C’est à partir de ce moment que le Maroc est assiégé et asphyxié et privé de moyens d’agir à l’extérieur de son territoire. C’est le début du déclin.
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