Le conte marocain est un monde foisonnant, peuplé de récits anciens où se confondent merveilles et ténèbres, sagesse populaire et échos d’un imaginaire profond. Ce patrimoine oral, transmis de bouche en bouche au fil des générations, s’est enrichi au gré des influences et des territoires, tout en restant fragile, menacé par l’effacement progressif des traditions orales.
Une foule de plus en plus compacte s’agglutine autour de l’homme tout de noir vêtu. Cheveux gris et barbe longue, il est l’un des conteurs les plus réputés de la place Jamaâ El Fna, à Marrakech. Habitués, badauds et curieux forment désormais un cercle autour de lui. Une fois la «halqa» en place, le conteur entame son récit où le verbe haut se joint à un jeu d’acteur énergique. Au comble du suspens, au moment où l’intrigue du conte est à son paroxysme, l’homme arrête son récit. Pour lui, c’est le moment de la recette qu’il récolte en faisant sa ronde au centre de la halqa. Les pièces ainsi collectées, il reprend son récit pour l’épilogue final. Une méthode qui fait penser au procédé utilisé par Shéhérazade, personnage central des «mille et une nuits». À la différence de notre Marrakchi, qui le fait pour des raisons pécuniaires, la reine de Baghdad tente, elle, de sauver sa vie. Mais au final, la moralité est que, ici comme ailleurs, raconter (et finir) des histoires, est une affaire très sérieuse. Nombre d’anthropologues considèrent d’ailleurs que la culture du conte est un élément essentiel à la compréhension d’une société. Les contes révèlent des émotions primitives comme l’enchantement ou la peur. C’est naturellement aussi le cas de la société marocaine. À l’instar des «mille et une nuits», la place du conteur est au moins aussi importante que les histoires elles-mêmes. De lui dépend l’intensité et la réussite de la narration.
Par Mohamed Yazid
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