Envoyé auprès de Louis XIV pour signer un traité entre le Maroc et la France, l’ambassadeur Abdellah Ben Aïcha se heurte aux mœurs dépravées de la cour. Récit d’une mission politique sur fond de libertinage.
L’histoire des grands voyageurs est également celle des péripéties diplomatiques. Sans les moyens de transport modernes, la mission des ambassadeurs d’antan relève plus de l’expédition aventureuse que de la simple mission politique. La méconnaissance du pays et des mœurs de l’Autre accentue l’effet «exotique» du voyage. Naturellement, le diplomate en déplacement prend aussi la charge de chroniqueur. Dans son pays, on attend de lui qu’il rapporte un maximum d’informations sur ses hôtes. De l’autre côté de la Méditerranée, la réception d’un ambassadeur d’une contrée lointaine est toujours un événement qui ne passe pas inaperçu. Le voyage de l’ambassadeur marocain Ben Aïcha à Versailles est raconté par Younès Nékrouf dans Une amitié orageuse, Moulay Ismaïl et Louis XIV.
Entre le XVII et le XVIIIème siècle, les empires de France et du Maroc sont à leur apogée. Le Roi-Soleil étend son immense influence aux confins de l’Europe latine, et son homologue marocain parvient à stabiliser les territoires du Makhzen comme jamais auparavant. Les deux puissances se retrouvent rapidement obligés de nouer des liens entre elles, et ce, au plus haut sommet des pouvoirs. De nombreux aspects de la relation sont à éclaircir. Les Français souhaitent ardemment trouver une solution aux tracasseries que causent les corsaires de Salé à leurs navires marchands. De plus, la concurrence commerciale que se livrent Versailles et Londres se traduit sur le terrain marocain. Le sultanMoulay Ismaïl, quant à lui, semble porter en estime la puissance de Louis XIV, dont il ne cesse de vanter les victoires militaires en Europe. Avec la présence d’un Bourbon en Espagne, le second sultan alaouite souhaite nouer une relation apaisée avec le nouveau voisin du Nord, voire même négocier une alliance stratégique. Avant cela, il est important pour les deux parties de négocier le sort des prisonniers détenus chez les uns et chez les autres. Les deux monarques échangent régulièrement des courriers via le service consulaire de France au Maroc. Le 13 juillet 1681, un traité est conclut entre le Caïd Omar Ben Haddou, vice-roi du Gharb et représentant du sultan à Mehdiya, et le Chevalier Lefebvre de la Barre. Dans son article 15, il est stipulé que «le sultan enverra un ambassadeur obtenir la ratification du traité par le roi de France». A cet effet, Moulay Ismaïl charge l’ambassadeur El-Hajj Mohammed Temim et son adjoint El Hajj Ali Maânino (frère du gouverneur de Salé), de cette première mission diplomatique. Les négociations se trouvent dans l’impasse, et les ambassadeurs marocains ne parviennent pas à mettre le Maroc en position favorable. S’ensuivent des tensions entre les deux puissances, jusqu’à ce que le sultan décide d’une seconde mission diplomatique, qui fera date dans l’histoire des deux pays. Fin 1698, le très respecté Abdallah Ben Aïcha est envoyé en tant qu’ambassadeur du Maroc à la rencontre de Louis XIV. Cette visite est l’objet de tous les commentaires à la cour de Versailles. Ecoutons le récit qu’en fait Younès Nékrouf.
Par Sami Lakmahri
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