Françoise Sagan avait pris le contrepied, il y a un demi-siècle, d’une jeunesse dorée et blasée, dans son cri, rendu dans un roman célèbre, «Bonjour tristesse». Nous sommes, tout au contraire, dans une tendance lourde d’un monde incertain, avec ses riches et pauvres, puissants et frêles, décideurs et administrés. D’aucuns parlent de radicalisme de l’incertitude. Pas étonnant d’être désemparés. L’ordre des priorités a changé, de même que les hiérarchies des rangs, les paradigmes, la manière de penser. Il est bien sûr difficile de réfléchir quand on a toujours la tête dans l’eau. Ventre vide n’a pas d’oreille. La crise économique, au niveau mondial, se profile aigue et porte les prémices de grands changements sociaux. Politiquement, on commence à faire le requiem de la démocratie. L’ère du populisme pointe. Vaste projet. Au niveau international, la guerre froide revient, plus pernicieuse que la première. Je préfère, à ce stade, ne parler que de ce qui nous interpelle au niveau de notre pays. Nécessité de revenir aux fondamentaux : la santé, l’éducation et la sécurité.
On ne saura remercier assez le corps médical et paramédical. Mais leur abnégation sera lettre morte sans un sursaut de civisme. Les chiffres des personnes atteintes de Covid-19 sont alarmants depuis le déconfinement. On réitère ce qui a été inlassablement dit : prudence, prudence… Réduire les contacts autant que faire se peut. Doubler les mesures d’hygiène et de distanciation. On l’a tous constaté, le relâchement qui s’est opéré au lendemain du déconfinement a eu un effet de boomerang. Le prix fut cher, et tous les acquis risquent d’aller à vau-l’eau. Il n’est pas tard.
Les forces de l’ordre n’ont pas eu de répit et méritent un grand hommage. On les a vus sous la chaleur à l’entrée des villes et des quartiers, avec beaucoup d’entregent et de tact. Leur action et abnégation sont hautement appréciées par les citoyens.
Puis vient le dossier le plus brûlant, celui de l’éducation. À l’orée de la rentrée scolaire, nous sommes tous interpellés. Il y a le ponctuel et le ministère de l’Education est certainement le mieux placé, de concert avec les associations et les syndicats, dans un dialogue continu au niveau de chaque région.
Mais il faut s’inscrire désormais dans la durée pour repenser notre ingénierie éducative. Finie l’image du maître sur une estrade avec une règle, la craie, le plumier et la trousse… Ou le prof dans un amphi, ergotant sur le savoir acquis, et l’étudiant en train de potasser et apprendre par cœur. Tout cela fait désormais partie du passé.
Mais est-ce la fin de l’école et du maître ? Non.
L’éducation est d’abord le contact entre le maître et l’apprenant. Le maître n’est pas que le dépositaire d’un savoir, mais un modèle, on dirait aujourd’hui un coach, terme anglais pour désigner le cocher. Or, le cocher fait chemin ensemble avec le postier. L’un ne va pas sans l’autre.
Je n’ose trop m’aventurer, mais l’enseignement à distance devrait être un appoint et optionnel, et il faut penser en fonction des tranches d’âge et des disciplines. Le débat devrait être lancé, de concert avec les établissements privés, en vue d’expériences pilotes qui pourraient être généralisées.
Au stade où nous sommes, oublions les clivages droite-gauche, islamistes-modernistes, secteur
public-privé, gouvernants-gouvernés. Nous sommes tous embarqués. Et interpellés. La situation est délicate, mais disséminons cette denrée rare et accessible à la fois, l’espoir. Ainsi, nous réduirons la marge de l’incertitude dans un monde incertain.
Par Hassan Aourid
Conseiller scientifique de Zamane