Le regard que la France porte sur le Maroc a changé depuis le déclenchement, il y a un demi-siècle, de l’affaire Ben Barka. Les relations entre les deux pays aussi.
Deux journalistes français préparent un livre choc sur le roi du Maroc. Ils n’ont pas encore écrit une seule ligne mais, à un moment donné et par un étonnant retournement de situation, ils se retrouvent en face de l’avocat du roi, en train de marchander la non-publication du livre. Au bout de quelques tractations, tout ce petit monde s’accorde sur un montant à partir duquel les deux journalistes-enquêteurs renoncent tout simplement à leur projet de livre. L’accord est notifié et signé par toutes les parties, les deux journalistes et l’avocat. Voilà comment on peut résumer, très succinctement, ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Eric Laurent – Catherine Graciet, du nom des deux journalistes. La moralité est claire comme l’eau de roche : cette histoire n’est pas morale du tout et le comportement des journalistes, qui devront bientôt rendre des comptes à la justice de leur pays, est indéfendable.
Mais au-delà de l’anecdotique et du conjoncturel, l’affaire interpelle à tous les niveaux. Elle soulève plus d’une question. Toutes ces questions, tous ces niveaux de lecture sont complexes parce qu’ils convoquant le politique et le psychologique, le passé et le futur, notre rapport à l’ancienne puissance colonisatrice et notre rapport à nous. Il y a d’abord cette image de l’arroseur arrosé. Elle est inédite. Il y a trois ans, Eric Laurent et Catherine cosignaient un livre critique, Le Roi prédateur, avec la monarchie marocaine au banc des accusés. Aujourd’hui la crêpe a été retournée et c’est tout un imaginaire, le nôtre, qui a été à son tour retourné.
Nous sommes passés des écrivains accusateurs mais écoutés, et religieusement lus, aux écrivains accusés, suspects et discrédités. A ce niveau, c’est bien la première fois que cette sorte de relation de confiance, qui existait entre le lecteur – réceptacle marocain et l’écrivain – journaliste – essayiste français, est rompue.
Par Younes Messoudi
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