Malgré un handicap de départ, les juifs marocains ont eu, eux aussi, leurs grandes familles. Retour sur un parcours qui en a conduit un certain nombre du mellah aux portes du Palais.
Mis en place dès les débuts de la conquête musulmane et resté en vigueur au moins jusqu’au milieu du XIXe siècle, le statut légal de dhimmi (protégé), réservé notamment aux juifs et aux chrétiens, impliquait à la fois la protection et la soumission de ces minorités religieuses. La protection, puisqu’il garantissait la sécurité des personnes et de leur biens, le droit de demeurer en terre d’islam et de pratiquer leur culte, ainsi que la liberté de vendre, acheter, posséder, se marier, laisser une succession… La soumission, puisque ce statut était assorti de deux obligations constantes : se soumettre à l’autorité musulmane et payer un impôt spécial, la jizya. A cela, venaient s’ajouter différentes mesures discriminatoires et dégradantes qui furent appliquées avec plus ou moins de rigueur selon les époques et les contrées. Enfin, le dhimmi ne jouissait d’aucun droit politique. De ce fait, il ne pouvait pas se hisser au-dessus de sa condition. Plus encore, toute tentative d’ascension sociale était perçue comme une violation du pacte passé avec l’islam. L’historiographie arabo-musulmane s’autorisant d’ouléma et de juristes, en témoigne. Il n’est que de rappeler cette sentence attribuée au calife Omar. Interrogé sur la nomination d’un juif comme inspecteur des monnaies au Bayt al-mal (le Trésor), il aurait répondu : «Garde-toi de nommer un juif ou un chrétien à une charge publique car, par leur religion, ce sont des gens de corruption».
Au Maroc, les dispositions juridiques de la dhimma (protection) ont été appliquées essentiellement aux juifs, devenus assez rapidement la seule minorité religieuse autochtone. Tantôt avec un zèle extrême, tantôt avec souplesse et tolérance. Ces fluctuations tenaient à l’état de stabilité ou au contraire de turbulence du royaume. Sans oublier le fond d’antijudaïsme présent dans le corpus de la tradition islamique, remontant à la rivalité entre les deux religions, lors de la prédication du Prophète. Animosité qui, par la suite, s’est située dans le cadre plus large d’une relation complexe de dominant à dominé.
Par Ruth Grosrichard
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