Ce qui a fait la force d’Abdelkrim et de ses troupes, ils l’ont probablement puisé dans la constitution de la société dans laquelle ils vivaient. Se sacrifier pour la tribu, c’est se sacrifier pour sa famille d’abord.
L’un des meilleurs travaux sociologiques sur le Rif de l’époque du Protectorat, à part celui, postérieur, de l’anthropologue américain David Montgomery Hart sur la confédération des Aït Ouriaghel dans les années 1950, est un article publié par Ignacio Bauer en 1949 dans la revue espagnole « Cuadernos de estudios africanos ». Dans cette étude, intitulée sobrement « La société berbère », l’auteur, qui a beaucoup travaillé sur le nord du Maroc, se propose d’expliquer la société rifaine. Un sujet vaste qu’il va falloir résumer. Au commencement, explique Ignacio Bauer, il y a le «dchar», le village, fondé par un lointain ancêtre dans un coin précis de la géographie rifaine. Dans chaque dchar, il y a plusieurs familles qui forment une communauté. De la même manière, plusieurs dchars forment une tribu.
Du dchar à la tribu
Chaque dchar délimite ses frontières avec d’autres villages, ou hameaux, en s’appuyant sur les terrains privés de chaque famille, mais également sur les terres communales, appelées aussi terres de la jamaâ. A l’intérieur du dchar, les habitants, souvent proches parents de même ascendance, possèdent une demeure, symbole de l’individualisme de la famille. A côté de ce groupe, constitué d’une population homogène, vit une autre, moins nombreuse et dispersée. Il s’agit d’un groupe de personnes qui résident généralement en dehors du village et qui se dédient à des tâches spécifiques, comme le métayage, la forge ou la prédication religieuse. Les prédicateurs dépendent souvent des différentes confréries religieuses, très actives dans la montagne et les campagnes marocaines. En principe, il n’y a pas de liens de parenté entre les deux groupes, mais ils se soumettent de la même manière à la même autorité. Pour le Rifain, il n’existe pas de hiérarchisation ou de catégorisation : tous les villages, toutes les tribus, ont le même rang social. Avec une constante tout de même, les anciens sont respectés.
Par Adnan Sebti
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