Si, avant le tournant de 1212 (bataille de Las Navas de Tolosa, perdue par les Almohades) et le «réveil» ibérique qui sera couronnée par la chute de Grenade à la fin du XVème siècle, le Maroc (ou al-Maghrib al-Aqsa) établit un pont vers la presqu’île ibérique, incarné par al-Andalus, l’histoire se retourna par la suite dans l’autre sens. À la fin du XVème siècle, c’est l’Ibérie qui «descendit» dans les terres chérifiennes et finit par en occuper la majorité des ports. Dans leur course vers le Maroc, les deux voisins et frères-ennemis ibériques finirent même, pour un moment, par se fondre l’un dans l’autre. Zamane vous raconte les grandes étapes de cette «union» forcée, étrange, à géométrie variable.
Peu d’écrits se sont penchés sur le rôle de la compétition avec la Castille, puis avec l’Espagne, dans les grands efforts fournis par le Portugal, un petit pays d’un million d’habitants à l’époque, pour occuper le Maroc. Car il ne s’agissait pas toujours de fonder seulement des comptoirs côtiers, comme le prétendent certains historiens coloniaux, pour en tirer des bénéfices commerciaux et stratégiques. Il était bien question, parfois, d’envahir le Maroc, d’occuper sa capitale -Fès ou Marrakech- et d’en faire un pays satellite. Autrement, comment expliquer que le roi Don Manuel envoie, en 1507, une mission militaire pour étudier des fleuves marocains afin de s’assurer de leur navigabilité ? Ce n’était pas juste pour sonder la possibilité pour les commerçants portugais de pénétrer à l’intérieur des terres, entreprise ô combien périlleuse étant donné la méfiance de la majorité des Marocains (Makhzen et populations) et leur hostilité à toute de pénétration étrangère. Par contre, le Portugal semble obnubilé par l’idée que les Espagnols mettent à profit leur domination sur la plus grande partie de la côte méditerranéenne du Maroc pour s’étendre vers Fès. Surtout que Fès se trouve pratiquement à équidistance des deux côtes maritimes. Certains historiens affirment que l’Espagne, vu sa stratégie essentiellement méditerranéenne, se contentait de la côte nord du Maroc et de l’Afrique du Nord ; ils oublient que les deux puissances ibériques ont failli entrer en guerre à propos des Îles Canaries autour de 1450. Par ailleurs, quand le roi Don Emmanuel du Portugal attaque en 1515 la Maâmora à l’embouchure de l’oued Sebou, ce n’était pas seulement pour y construire une fortification. Les forces portugaises comptaient s’y installer à demeure afin d’en faire, à l’avenir, une puissante base-arrière pour aller conquérir «O Reino de Fez» (le royaume de Fès). Mais le Portugal n’a tout simplement jamais eu les moyens de sa politique.
Par Younes Mesoudi
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