Entre le XVIIIème et le XIXème siècles, l’Europe succombe à l’appel de l’Orient, à la « Renaissance orientale ». Dans cette région du monde, où l’Empire ottoman se meurt à petit feu et les appétits coloniaux s’aiguisent peu à peu, les Occidentaux ont tôt fait de projeter leurs fantasmes et de façonner une image aussi sulfureuse que tronquée. Parmi leur cible de prédilection : le harem, un lieu pourtant quasiment impénétrable.
France, XVIIIème siècle, « l’Orient » est en vogue. Depuis la Renaissance, il y a bien eu quelques voyageurs assez hasardeux pour traverser la Méditerranée et ramener quelques objets, carnets et récits de voyage, mais la mode, la vraie, a été lancée par un certain Antoine Galland. Ce spécialiste des manuscrits anciens et des monnaies, capable de parler et d’écrire l’arabe, le turc et le perse, est chargé par la Compagnie des Indes Orientales, puis plus tard par le roi Louis XIV, d’étudier les mœurs ottomanes et de dénicher le plus grand nombre de livres anciens et d’objets d’art. En 1704, à la faveur de ses pérégrinations au sein de l’Empire ottoman, Antoine Galland entame la traduction du recueil de contes populaires Les Mille et une Nuits (à partir de l’arabe, même si ces contes seraient d’origine persane et indienne) et en publie le premier tome en France. L’ouvrage est un succès. Sa traduction, sous d’autres plumes, et sa diffusion essaimeront bientôt à travers toute l’Europe. Seulement voilà, entre-temps, Shéhérazade, l’héroïne des Mille et une Nuits, a succombé au prisme typiquement occidental. Pour adapter son personnage aux mœurs françaises, Antoine Galland s’est inspiré de deux dames de la cour, Madame d’Aulnoy (lettrée, auteure de contes merveilleux, femme d’esprit et « scandaleuse», mais peu gâtée par la nature) et la Marquise d’O (une dame de compagnie, futile mais très jolie). Cela dit, d’autres auteurs ne se sont pas embarrassés de tant de contraintes. « Parce que Schéhérazade évoluait dans un décor fastueux et maniait volontiers l’érotisme. L’Europe, prisonnière du clivage systématique qu’elle établissait entre la beauté et l’intelligence, entre le corps et l’esprit, en a fait une aguicheuse à breloques, la privant de sa dimension cérébrale, politique et subversive », écrivait l’essayiste Mona Chollet dans un éditorial intitulé « L’Occident ou la phobie de la différence ». Un constat très proche de celui effectué par Fatima Mernissi dans «Le Harem et l’Occident», publié en 2001.
Par Nina Kozlowski
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