Entre le XVIème et le XVIIème siècles, l’Empire ottoman est à son apogée, et ses institutions les plus prestigieuses fascinent l’Occident. Parmi celles-ci, le harem sultanien, version aboutie et sublimée du harem de l’élite urbaine. Cette institution, puissante et fastueuse, au cœur de l’Empire et de la Cité, subjugue et fait fantasmer le monde entier, quitte souvent à le mythifier…
Toute la science des historiens n’y peut rien : la force des images s’impose aux mots savants. La littérature et la peinture orientaliste nous ont transmis des émotions, des effigies, des symboles, avec une récurrence si forte qu’ils se sont inscrits dans notre subconscient collectif. Comment ne pas admirer la grâce des jeunes femmes nues en train de prendre leur bain, la lascivité des odalisques, affalées nonchalamment dans un décor de luxe, ressentir le confinement des espaces devant la multitude des femmes entassées dans ces intérieurs, et l’oisiveté de leur vie, toute occupée de danses, de réceptions, de détente devant un café ou près d’un narghilé? Comment ne pas anticiper des intrigues pour séduire l’unique homme et maître de cet espace, la noirceur des ambitions, la violence des passions, qui mêlent sexe et pouvoir comme un tout indissociable? Voilà le legs de l’orientalisme, contre lequel il faut, encore et toujours, se battre. Déconstruire, une fois encore, l’illusion.
La première illusion est l’islamisation du harem. Celui-ci serait une caractéristique des sociétés musulmanes, l’expression de la séparation des sexes prônée par l’islam… Or, ce n’est ni une invention ni une spécificité de l’islam. Le choix du terme arabe, harem, est coupable de culturaliser un phénomène bien antérieur (de plusieurs millénaires !) à la révélation mohammadienne. Un autre terme, occidental, existe pourtant: le gynécée. Le terme est grec, car la Grèce antique pratiquait la séparation des sexes et enfermait, sans vergogne, ses femmes dans des gynécées, des harems donc. La christianisation du monde méditerranéen ne met d’ailleurs pas un terme à l’existence des gynécées: les Byzantins les reprennent à leur compte.
Par Juliette Dumas
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