Elle a étudié au plus près le phénomène de la course, s’est intéressée aux écrits de ceux qui ont vécu la course ou qui l’ont côtoyée. Elle nous livre quelques réflexions sur ce qu’étaient la course et son importance à l’échelle locale, régionale, voire internationale.
Quelle a été la nature des relations entre le Makhzen et la guerre de course ? Cette relation a-t-elle évolué? Des sultans ont-ils eu une politique qui se serait démarquée des autres sultans vis-à-vis de la course ?
Pour comprendre les tenants et les aboutissants des rapports du Makhzen à la course, il faut replacer le tout dans le contexte d’une histoire longue. Car ces rapports ont subi de profonds changements à l’époque moderne ; des changements qui suivent à leur tour les différentes phases de l’organisation structurelle de la guerre de course. Paradoxalement, nous assistons à une substitution de la course d’Etat à la course privée. Dès le début du XVIIème siècle, sous l’impulsion des Morisques chassés d’Espagne, à la suite de la promulgation des édits d’expulsion définitifs par le roi d’Espagne Philippe III, et installés au Maroc, la guerre de course prend une vigueur renouvelée à Tétouan sur la façade méditerranéenne et surtout à Salé la Neuve, et devient une véritable source de profit pour l’ensemble de la population. En peu de temps, Salé s’érige, richesse aidant grâce aux gains des prises, en Diwan, une sorte de « république » affranchie de toute tutelle makhzénnienne, dès 1627 et ce jusqu’à 1640. En 1623 déjà, le consul hollandais Albert Ruyl constatait que les corsaires ne se souciaient guère de l’autorité du sultan saadien Moulay Zidane (1603-1628), coupable de prélever la dîme sur leurs revenus. Le trinitaire français Pierre Dan s’exprime en ces termes pour décrire l’évolution du rapport des Salétins au Makhzen : «[Ils] vécurent quelque temps avec l’honneur et l’obéissance que de vrais subjets doivent à leur souverain, mais ils se relâchèrent un peu après». La Kasbah dite des Oudayas devient alors la capitale du nouvel Etat, sous lequel les corsaires deviennent de plus en plus entreprenants, patrouillant avec assurance au large de l’arc atlantique. Tout leur est gibier !
Quel était le mode de répartition des prises ?
Pour ce qui est du mode de rémunération, on en relève au moins deux. Le premier coïncide avec l’établissement de la «République» de Salé et se prolonge jusqu’à 1666. Le second est adopté dès l’arrivée au pouvoir du sultan Moulay Ismaïl (1672-1727). Durant la première période, les équipages ne recevaient pas de salaire fixe, car tout dépendait de la valeur de leurs prises. Pour les armateurs, ce système constituait en effet un pari sur la réussite de l’entreprise corsaire, comme le constate avec raison le religieux français Pierre Dan : «Ceci afin de mieux les encourager au combat, à quoi ils ne se porteraient pas si volontiers, s’ils avaient une paye assurée». Avec l’étatisation de la course sous les premiers sultans alaouites, qui voulaient la convertir en véritable levier politique et diplomatique dans leurs négociations avec l’Europe, les modalités de répartition des prises subirent un profond changement. Le partage s’effectue désormais selon un barème établi. Invoquant la loi coranique, les sultans s’attribuent, dans un premier temps, 20% du montant global des prises, pour s’adjuger, par la suite, les 50% du reliquat, en qualité de propriétaires du navire corsaire, avec tous les esclaves, comme le souligne d’ailleurs l’ambassadeur français François Pidou de Saint-Olon en 1694 : «Le roi prend le cinquième avec tous les esclaves, moyennant aussi cinquante écus pour chacun». En effet, dès la promulgation de l’édit de 1682, tous les esclaves sont, désormais, devenus propriété du sultan. L’autre moitié est partagée par l’équipage. Le raïs s’approprie les vêtements du capitaine chrétien, laissant à ses hommes le soin de dévaliser, autant qu’ils le peuvent, l’équipage, à l’exception des marchandises, ce qui s’appelle Karabata.
Propos recueillis par Maâti Monjib
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°114