Les rituels et protocoles adoptés par le Makhzen sont pour la plupart «importés» depuis l’étranger. Dès le XVIème siècle, ce sont les Ottomans, devenus les voisins orientaux du Maroc, qui sont le plus influent dans ce domaine. L’historien Mohamed Chiker, spécialiste des cérémonies protocolaires de Dar Al Makhzen, nous explique comment les influences ont dessiné les rites que l’on pense typiquement marocains…
«Le système du sultanat ottoman avait une grande influence sur les systèmes protocolaires et rituels au Maroc. L’influence des traditions et des coutumes politiques turques sur le système de gouvernance au Maroc était manifeste depuis le XVème siècle et à partir de l’époque des Saâdiens. C’est bien cette dynastie qui avait tenu à prendre connaissance de ces traditions et à s’en inspirer. Ceci s’est confirmé également avec les Alaouites. Ce système a été conservé jusqu’à l’époque du protectorat français, lorsque le Résident Général Lyautey et ses successeurs ont tenu à respecter ces protocoles et à en faire les fondements de la politique au Maroc.
Pour ses sujets, le sultan inspire l’émerveillement, le respect mais aussi la crainte. Les sultans mérinides et surtout Saâdiens tenaient à entourer leur autorité par des prestances de prestige et de magnificence, en jouant sur la qualité des vêtements qu’ils portaient. L’historien Al Tafrani explique que la codification de ce protocole était le fait de deux importants personnages : Kassim Ezzarhouni, qui avait mis en place pour le sultan Abou Abdillah Echeikh, les protocoles vestimentaires des sultans et la discipline à laquelle doit se soumettre la cour. Quant à l’autre, il s’agit de Laârifa bint Khajjou, qui avait inculqué aux sultans comment se comporter au sein de leurs demeures, soit les habitudes alimentaires et vestimentaires, mais aussi la façon de traiter avec les femmes. Le règne de Mohammed Cheikh avait gagné par ces instructions beaucoup de prestige, de brillance et d’estime.
Les influences andalouses et orientales demeurent modestes. Elles ont surtout établi quelques titres politiques comme l’imam ou le khalifa ou Amir el mouminine. Nous leur devons aussi le fait de ne pas poser la couronne sur la tête, imitant ainsi les califes musulmans. Mais c’est bien l’influence turque qui a le plus déteint sur les protocoles de Dar El makhzen. La proximité de l’empire ottoman établi en Afrique du Nord est en ce sens déterminante. Bien que La Sublime Porte n’ait pas réussi à s’accaparer le Maroc, elle a joué un rôle majeur dans son évolution. Les Saâdiens ont importé et adapté de nombreuses pratiques rituelles turques de l’époque, comme la façon dont le sultan recevait sa suite ou celle relative à la gestion des affaires du pays comme le conseil du cabinet «diwane», ou encore la distinction du sultan par le port d’une tenue royale exclusive.
«Le sultan inspire l’émerveillement, le respect mais aussi la crainte»
Les Saâdiens ont donc adopté la mode vestimentaire turque et l’ont même enrichie. Ainsi, le sultan Ahmed Al Mansour Eddehbi portait le caftan qui était une sorte de manteau long avec des manches longues, et mettait par-dessus un autre manteau léger qui se ferme par des boutons qui se dit Al Mansouria, du nom de ce même sultan. L’historien Ibnou Zaïdane nous rappelle que l’influence turque est restée présente également dans l’habillement des sultans alaouites, en comparant le sultan Moulay Rachid à «l’élite turque».
Il y a constamment des évolutions dans la mise en scène de ces rituels. Certaines périodes connaissent des accélérations. J’ai cité en particulier les Mérinides et les Saadiens. A cette époque, le nouveau système protocolaire marocain s’était institutionnalisé soit à travers ses structures organisationnelles ou à partir de ses genres protocolaires. Depuis le début du règne du sultan Ahmed Cheikh, les traditions turques étaient devenues courantes au sein du palais royal. Pour ce faire, de nombreux fonctionnaires et employés turcs ont été recrutés, en l’occurrence les majordomes, les portiers, les valets et divers serviteurs. Aussi avait-on fait appel à des coutumes ottomanes dans le domaine de la chancellerie et des protocoles d’audience. Le temps des influences andalouses étant révolu bien avant les Saâdiens, le renouvellement des traditions makhzeniennes au Maroc, en plus des créations ajoutées par les Saâdiens, la plupart des influences enregistrées dans ce domaine étaient ottomanes. Je pense en particulier à la tradition d’embrasser le sol devant les sultans en signe de soumission. Le baisemain et le maintien de la fonction des responsables du système protocolaire au sein de Dar El makhzen, comme Caïd El Mechouar ou le Hajib malaki, en plus des «abid el âfia» (les serviteurs responsables du feu), ou les serviteurs responsables du tapis de prière du roi. Il a été ajouté à ce système l’instauration du système des décorations par médaille, qui a été introduit par les autorités du protectorat et ravivé par le ministère de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie».