Le témoignage de Mohammed Cherkaoui, leader du Parti démocratique pour l’indépendance (PDI) ou Choura, revêt une importance capitale. Parce qu’il fut mêlé à toutes les tractations avant Aix-les-Bains, qu’il joua un rôle pour infléchir la position de la résidence, et qu’il fut témoin des événements tragique de Oued Zem, qui allaient saborder la rencontre d’Aix-les-Bains. Cherkaoui fut, avec Bouabid, les deux «jeunes» qui allaient amadouer la position des ultra, y compris Antoine Pinay, initialement hostile aux nationalistes et au retour du Sultan, par leur modération et leur perspicacité.
Quels étaient vos rapports avec le résident Francis Lacoste ? Avez-vous participé à des négociations directes avec lui ?
J’ai eu personnellement deux entretiens, tout à fait officieux, avec lui. Car les Français ne se rendaient pas compte qu’ils vivaient dans un pays doté de très fortes traditions historiques, dont celle de la légitimité du pouvoir suprême. Ils pensaient qu’ils allaient arranger les choses à coup de réformes, ou d’interventions économiques. Ils ne voulaient pas comprendre qu’ils avaient, en réalité, brimé la conscience nationale marocaine et cassé la légitimité du pouvoir en détrônant Sidi Mohammed ben Youssef. Mais cette atteinte contre la légitimité marocaine ne semble pas avoir été saisie par Lacoste.
Ne le sentiez-vous pas, plutôt, déchiré entre plusieurs tendances ?
Lacoste était un diplomate de carrière, un homme de qualité, certes, mais sans beaucoup de caractère. Il donnait effectivement l’impression d’être en constante hésitation entre sa volonté de comprendre le problème marocain et ses obligations envers l’extrême-droite colonialiste locale.
Paris n’était peut-être pas prêt, non plus, à l’époque, à ouvrir le dossier marocain…
Je pense, plutôt, que la transmission à Paris n’était pas honnête et objective. Elle privilégiait toujours la tendance réactionnaire et colonialiste. Le «Grand Capital» était mieux informé et plus ouvert d’esprit. Des hommes comme Walter ou Lemaigre-Dubreuil nous ont beaucoup aidés à obtenir le retour de Mohammed V.Alors que les communistes n’ont jamais été pour l’indépendance du Maroc, qui aurait remis le pouvoir entre les mains de la bourgeoisie locale, mais pour une union entre la France et le Maroc.
Propose recueillis par Selma Lazraq – Editing Zamane
La suite de l’interview dans Zamane N°143