L’heure du bilan d’une année pleine, celle qui s’achève n’a pas fait dans la facilité, particulièrement sur les registres déterminants de l’économique et du social. Le primat de l’économie s’essouffle à vue d’œil et pas uniquement du fait des effets entendus de la récession mondiale. Des facteurs induits, cumulatifs et structurels, propres à notre gouvernance économique et à la nature des opérateurs nationaux, sont également en cause. La dette extérieure et son corollaire intérieur s’alourdissent de manière inquiétante. La première, grève de façon draconienne le budget de l’État et hypothèque les lendemains, déjà improbables, des générations montantes. La deuxième inhibe la volonté d’investir et d’entreprendre, tant que l’État a du retard à l’allumage lorsqu’il s’agit d’honorer ses emprunts. Dans les deux cas, nous flirtons dangereusement avec le seuil d’insolvabilité.
Au plan social, la dégradation est montée d’un cran, de même que les tensions et les crispations qui vont avec. Après les grignotages qui sont apparus insuffisants, la caisse de compensation a volé en éclats, pour l’essentiel. Directement indexés sur les cours du marché mondial, les hydrocarbures ne sont plus subventionnés. Du coup, les tarifs à la pompe ont pris l’ascenseur, avec un impact de renchérissement difficilement soutenable des segments vitaux de la consommation. Autrement dit, on se dirige de pied ferme vers la vérité des prix, la marque de fabrique du libéralisme débridé.
Après les couches populaires, qui paient la facture d’une politique de rigueur budgétaire et de pressurisation fiscale, ce sont les classes moyennes qui sont méthodiquement laminées. Un nivellement par le bas. La gronde, venue du tréfonds du tissu social, s’est exprimée syndicalement par la grève nationale du 29 octobre. Les syndicats ont joué leur rôle d’encadrement organisé et d’endiguement pacifique. Jusqu’à présent. Aux disparités sociales, en fait, des fractures béantes, s’ajoutent les disparités régionales révélées par les dernières intempéries. Une dichotomie dans le discours du 20 août 2014 : « Nous ne voulons pas d’un Maroc à deux vitesses : des riches qui bénéficient des fruits de la croissance et des pauvres restés en dehors de la dynamique de développement et exposés à plus de pauvreté et de privation ». Ce constat royal avait été, l’année dernière, illustré par un cas concret et édifiant, celui de la capitale économique, lieu de tous les contrastes et de tous les maux : « Casablanca est la ville des disparités sociales les plus criantes, où se côtoient les catégories riches et les classes pauvres. C’est la ville des gratte-ciel et des bidonvilles. C’est le centre de la finance et des affaires, mais aussi de la misère, du chômage et d’autres maux, sans parler des déchets et des ordures qui en ternissent la blancheur et entachent la réputation ».
Dans d’autres allocutions, durant l’année qui nous quitte, le roi a soulevé des problèmes d’importance tout aussi primordiale. À commencer par la justice et sa réforme dont on parle tant et depuis longtemps, sans qu’apparaisse un début de commencement effectif et visible. Tous les intervenants sur le champ de la chose publique sont d’accord sur le fait qu’une justice aux ordres, une justice corrompue, produit un supplément d’injustice sociale et pénalise l’économie. Et pourtant, les textes qui permettent sa réforme n’ont toujours pas vu le jour. Ce qui jette un épais voile de doute sur cette unanimité apparente. À moins que la justice ne soit, par elle-même et par essence, réfractaire à toute idée de réforme. La justice, étant une affaire d’hommes, donc de volonté politique, cette approche fataliste est pour le moins irrationnelle.
L’année qui s’apprête à tirer se révérence a vu l’installation du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique. Cette institution doit réformer un secteur qui ne l’a pas été jusqu’ici, malgré la multitude des diagnostics avérés et des tentatives avortées. Le roi y avait consacré la quasi-totalité de son discours, en dressant un état des lieux, dans ces termes : « Il est navrant de voir que la situation actuelle de l’enseignement s’est dégradée encore davantage, par rapport à ce qu’elle était il y a plus d’une vingtaine d’années ». Le Conseil renouvelé apportera-t-il les réponses adéquates à la problématique de l’enseignement ? Voire !
À travers ces faits marquants qui ont emmaillé 2014, parfois dans la droite continuité de l’année précédente, on est interpellé par la distance entre, d’une part, la clarté des conclusions et des directives royales et, d’autre part, le manque d’empressement et le peu de réactivité des instances censées les mettre en œuvre. L’Exécutif, tout autant que l’assemblée législative et le corps communal donnent l’impression de prendre leur temps, alors que c’est le temps qui manque le plus. Une propension à l’économie d’effort qui n’augure rien de bon pour 2015. Un sursaut salvateur est nécessaire, à l’aune des questions posées par le roi, le 30 juillet 2014 : «Nos choix sont-ils judicieux ? Quelles sont les actions à accélérer, rectifier ou réajuster ? Quels sont les chantiers et les réformes à mettre en route ?».
YOUSSEF CHMIROU, DIRECTEUR DE LA PUBLICATION & DE LA RÉDACTION