Depuis plus de deux décennies, le débat politique au Maroc soulève la question de la «transition démocratique», sans préciser vers quoi le Maroc va transiter. On parle des fois de «transition vers la démocratie», d’autres fois vers «l’Etat de droit», et quelques fois vers la «monarchie citoyenne». En réalité, l’intelligentsia du pays, toutes tendances confondues, hésite à rompre avec des modes de pensée et d’action façonnés par des siècles de conservatisme. Dans un souci d’éclairage par l’histoire, Zamane rouvre le débat en revisitant les concepts de bey’a, wala’, allégeance…
L’articulation, dans le système politique marocain entre légitimité traditionnelle, celle de l’imâm ou d’Amir El Moumine, avalisée par les oulémas et les notables, et la légitimité populaire, celle émanant du peuple souverain, est analysée dans le cadre de ce dossier par le biais d’approches diverses. Qu’il s’agisse de l’anthropologie historique, de la philosophie du droit, de la politologie ou du droit constitutionnel, les sens produits interrogent et expliquent l’interaction de ces courants de pensée.
L’allégeance est l’un de ces concepts politiques dont le sens paraît aller de soi. On l’utilise sans l’interroger et sans préciser son contenu, croyant que le vocable suffit à lui seul pour dénoter le type de rapport entre les gouvernants et les gouvernés. Or dans la vie politique, ce qui importe le plus c’est l’usage. Ce sont les codes et les convenances qui donnent à un concept sa substance. Derrière les mots et leurs significations apparentes, il faut toujours s’intéresser au non-dit qui détermine les comportements et les rapports entre les protagonistes du champ politique. C’est un langage d’initiés dont le sens est fixé dans la culture politique de chaque société. Celle-ci relève plus de la coutume et du code, de la ‘âda (coutume) et de la qâ’ida (règle), comme on disait dans le Maroc traditionnel, que du langage raffiné et feutré des lettrés habitués à la reproduction des théories closes. Attaché à ce dernier référentiel par l’historiographie classique, le concept d’allégeance a fini par être vidé de sa substance politique pour ne plus exprimer que son contenu théologique. Redonner à ce concept sa substance perdue en le rattachant à sa réalité historique nécessite une nouvelle lecture de l’historiographie traditionnelle. Le but de cette lecture est de chercher le politique derrière le théologique, le sens dans le contexte.
Et la politique dans tout ça ?
La lecture attentive de l’historiographie marocaine classique révèle une contradiction essentielle chez les historiographes quand ils décrivent l’histoire politique du Maroc. Suivant la tradition discursive de l’histoire classique, ces historiographes survolent la vie politique du pays de sorte que cette histoire apparaît sous deux faces, avec pour chacune sa propre logique. La première face a trait à la vie du prince et à la conformité de son règne avec le modèle de la imâma en islam. La seconde face se rapporte aux faits tumultueux vécus sous le règne des dynasties successives. Sous la première face, le règne d’une dynastie ou la conduite d’un prince apparaissent conformes au modèle de la khilâfa en islam, tel qu’il a été perpétué par les fuqahas traditionalistes à travers leurs traités juridiques sur la imâma et ses conditions de validité. La vie politique réelle, quant à elle, se déroule, dans cette historiographie, selon sa propre logique, traînant son lot habituel de faits tumultueux et dramatiques. Sous cette dernière face, l’exercice du pouvoir politique paraît bien éloigné du modèle théologique.
Par la rédaction
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