Beautés fatales, amoureuses délaissées ou adulées, fascinantes de mystère, résistantes courageuses, les femmes occupent une large place dans notre imaginaire collectif.
Très souvent sous le couvert du mythe transparaissent les valeurs essentielles d’un groupe humain qui peut épouser l’étendue de tout un pays voire une civilisation toute entière. L’une des caractéristiques du mythe est sa remarquable longévité. Le récit mythique peut se raconter avec plaisir d’un siècle à l’autre. Mais en général il doit s’adapter au système des valeurs de l’époque et/ou de la société en question en subissant une re-signification plus ou moins profonde selon la distance culturelle et temporelle.
Le mythe exprime ce qu’il y a de plus profond, de plus pur dans le fond culturel commun d’un peuple. Mieux que l’histoire ou la littérature produite individuellement, le mythe nous renseigne sur le passé des sociétés et leur présent. Car l’imagination y est totalement libre et la création toujours collective.
Mata, la légende jeblie, estun récit qui s’organise autour de l’enlèvement d’une jeune et belle femme. Cela peut signifier qu’il s’agissait d’une pratique courante dans le Maroc d’antan. Mais le fait qu’ici l’enlèvement se fait contre la volonté de la victime qui était amoureuse d’un autre homme, le fait que le coupable s’appuie sur son rang social (il est fils de caïd)pour accomplir son crime, provoquent une émotion collective telle que la communauté ressent le besoin de perpétuer le souvenir des deux amoureux injustement traités puis tués par plus puissant qu’eux. Cette perpétuation du souvenir de Mata est à la fois une condamnation de l’injustice (impunément exercée par les forts contre les faibles) et un témoignage du besoin de solidarité des faibles contre le puissant offenseur : de fait quand les cavaliers de Jebel Habib poursuivent frénétiquement celui qui détient Mata la poupée pour la lui arracher des mains, ils signifient à travers ce rite le souvenir multiséculaire d’une frustration inconsolable, d’une tension psychologique collective engendrée par l’échec du groupe à protéger la liberté d’une femme, Mata l’historique, la vraie. Ce rite festif qui a survécu à travers les siècles et les changements culturels est un chant à la gloire des vaincus.Il exprime à travers l’histoire d’une femme, la volonté de justice, autrement dit l’antithèse du défaitiste vae victis !
Par Maâti Monjib
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