Le fabuleux destin de la jeune, belle et pieuse Lalla Solica a défrayé la chronique de son vivant et longtemps après sa mort, au Maroc et bien au-delà. Retour sur une histoire appelée à devenir légende.
C’est le dernier acte d’une tragédie qui se joue sous nos yeux. La scène se déroule sur une place publique, au pied d’un minaret. Sur l’estrade, un grand gaillard noir, vêtu d’une tunique rouge, tient un sabre d’une main et empoigne de l’autre la chevelure épaisse d’une femme agenouillée, le regard tourné vers le ciel. Penché vers la malheureuse, un homme en burnous -probablement un envoyé du palais royal- a l’air plutôt bienveillant, au contraire des deux personnages qui, dans son dos, menacent la victime. Voilà pour les acteurs. Quant à la foule des spectateurs, elle est composée de musulmans mais également de juifs, reconnaissables à leurs habits de couleur noire. Les uns maudissent la malheureuse, les autres prient pour elle et la bénissent.
Il s’agit en fait de L’Exécution de la juive (1862), un tableau d’Alfred Dehodencq. Cette juive dont le destin s’accomplit sous nos yeux se nomme Sol Hatchuel. Née vers 1820 dans une famille de Tanger jusque-là sans histoire, elle deviendra Solica es-Saddiqa en arabe ou ha-Tsadikkah en hébreu, autrement dit Solica la sainte. Appelée aussi Lalla Solica, elle reste une héroïne pour les juifs marocains et compte parmi les 90 saints juifs vénérés par les musulmans au Maroc.
De la mémoire à la légende
Que lui vaut cette notoriété et ce charisme, elle qui n’est que la fille de Simha, simple femme au foyer, et du modeste colporteur Haïm ? Comment est-elle devenue un personnage de légende ? La mémoire familiale et communautaire y est pour beaucoup. Cependant, aussi riche d’enseignements que soit ce mode de transmission par la mémoire, il n’en est pas moins sélectif, trop chargé d’émotion pour n’être pas déformant. Il relève en effet d’une reconstruction identitaire d’autant plus compréhensible qu’elle concerne ici une minorité de second rang. Rien d’étonnant donc s’il existe différentes versions du martyre de Solica : les unes issues de récits hagiographiques, de poèmes chantés en judéo-espagnol ou en judéo-arabe et d’anecdotes populaires répandues chez ses frères en religion ; les autres souvent véhiculées par des étrangers à travers la littérature et la peinture. A défaut d’éventuelles sources musulmanes qui permettraient de compléter la connaissance que nous avons de cette figure mythique, l’histoire de Solica mérite tout de même d’être racontée. Toute légendaire qu’elle soit, elle n’en contient pas moins un noyau de vérité.
Par Ruth Grosrichard
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