Moa et Kim exposent à deux à Rabat à la galerie de la Banque populaire. Quand Kim est né, me raconta son père, il a regardé ses mains et dit qu’il allait être artiste. Comment peut-on prédire l’avenir d’un être à peine sorti des ténèbres du néant ? Moa le savait, ou le voulait, ou l’espérait. Peu importe, mais cette parole, tombée dans l’oreille du petit être qui n’était pas encore Kim, a apparemment scellé son sort. Il devient peintre, mais tient absolument à se démarquer du père, Moa. Très présente sur la scène artistique, la figure du père s’impose et le risque de se faire appeler à chaque fois le fils de Moa était là. Kim fait un grand détour par l’école de Malaga, affronte le public et la critique sous d’autres cieux, avant de revenir s’installer au Maroc et à Kénitra, là où Moa avait élu domicile. Kim retrouve certes le père, mais le collègue aussi. Chacun mène sa vie d’artiste avant de se retrouver en famille. Chacun expose seul ou avec d’autres artistes, avant de décider de se retrouver ensemble, d’abord dans une première exposition à Casablanca en 2010, et là aujourd’hui à Rabat.
On a connu au Maroc, surtout, les mamans qui étaient venues à l’art après avoir vu leurs enfants peindre ou sculpter. On parle beaucoup de peintres qui, après avoir enfanté artistiquement leur maman, se sont arrêtés de peindre et ont ainsi géré les carrières de leur mères. Miloud est peut-être une exception. Mais je ne connais pas un exemple où le fils et le père se sont retrouvés dans une même galerie à confronter leurs deux expériences. À première vue, on pourrait croire qu’il s’agit de la même démarche.
Kim a tout fait pour se démarquer de Moa, et ce dernier a tout fait pour ne pas engager le fils dans sa voie de travail pictural. Pour commencer, Kim a fait le portrait de son père. Ceux qui connaissent cette technique savent surtout qu’elle relève du travail du psychologue, beaucoup plus que du peintre. L’artiste doit plonger dans les profondeurs de son modèle avant de le dessiner. Beaucoup d’artistes sont devenus fous après avoir réalisé leurs propres portraits ; tout le monde pense à Van Gogh, mais il y en a d’autres. Kim a réalisé le portrait de Moa, comme personne ne l’a jamais fait auparavant. Ce portrait est une délivrance de la fascination vouée au père, et un passage vers une relation avec un collègue.
Si, aujourd’hui, ils exposent ensemble, ce n’est point un père et un fils, mais bel et bien deux expériences qui se sont construites l’une en face de l’autre, l’une en compagnie de l’autre, mais aucune ne refait ou reproduit l’autre. Ils travaillent tous les deux sur de larges paysages de l’âme ; l’un les traite à la manière mélancolique, disons de Géricault en contemporain, et l’autre en Zao Voo-Ki émancipé de la pensée religieuse extrême-orientale, et voltigeant dans les airs féeriques des espaces célestes enflammés.
Une exposition inédite, qui nous apprend le dialogue entre deux êtres tellement différents l’un de l’autre qu’ils sont devenus complémentaires.
Par Moulim El Aroussi