Depuis 1962, date de la première constitution du Maroc, le pouvoir d’un souverain tire sa légitimité de la loi suprême. Dès lors inutile, la bey’a aurait pu sombrer dans les oubliettes. C’est pourtant ce référentiel traditionnel qui prévaut aujourd’hui.
D’un point de vue historique et avec le recul du temps, après un demi-siècle de vie constitutionnelle, on voit bien que les deux référentiels fondamentaux de l’exercice du pouvoir au Maroc (la constitution et la tradition) ont été utilisés de façon à ce qu’ils se neutralisent mutuellement. Celalaisse toute latitude au pouvoir de facto (qui s’appuie sur l’appareil physique de l’Etat) pour interpréter à son avantage un ou plusieurs éléments de l’un ou l’autre des deux référentiels pour maintenir et parfois renforcer l’hégémonie du Palais sur la totalité de la structure administrative et politique du pays. Y compris les institutions élues et la justice. C’est ce qu’on peut appeler «du bon usage de la dualité». La monarchie a ainsi la haute main non seulement sur le fonctionnement du système, mais elle contrôle également sa reproduction sociale, politique et légale.
Dans les différentes constitutions du Maroc (qui s’étalent de 1962 à 2011), il n’y a aucune référence explicite à la bey’a. De fait, si on s’en tient au seul texte constitutionnel, il n’y a nul besoin de bey’a pour légitimer la transmission du trône du roi disparu au nouveau roi puisque la primogéniture mâle s’impose automatiquement pour ainsi dire. Si les fils du roi régnant étaient, selon la tradition, de simples candidats à la magistrature suprême, le fils aîné est devenu, depuis la constitution de 1962, l’héritier de droit du trône, sauf décision contraire de son père et souverain.
La tradition, c’est malléable
Comme l’explique le professeur Mohammed Madani dans l’entretien qui suit, la composante traditionnelle du système de référence est utilisée pour vider de sa substance la constitution, notamment en ce qui concerne la distribution du pouvoir et le rôle des contre-pouvoirs. Depuis l’accès du Maroc à l’indépendance, le plus souvent une bonne partie de la cour et de l’élite d’Etat gravitant autour d’elle sont très rétives à tout engagement moderniste, même quand elles sont, sur le plan des mœurs et des choix purement sociaux (autrement dit sans impact politique direct), plutôt pro-libérales.
La bey’a, constituée essentiellement d’oral et de gestuel, est forcément moins contraignante qu’un texte écrit quel que soit son contenu. Car l’oral, et la symbolique traditionnelle en général, sont plus facilement manipulables sur le plan de l’interprétation. Ils peuvent être sur-interprétés ou sous-interprétés à merci, selon l’intérêt du moment de celui qui dispose du pouvoir matériel.
Par Maâti Monjib
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