Quels étaient les rapports entre tradition et régime constitutionnel moderne sous
Hassan II ?
La Constitution de 1962 peut être interprétée comme un texte ayant tenté de concilier tradition et modernité, dans la mesure où elle fait passer le pays d’une monarchie absolue à un régime parlementaire dualiste, où le pouvoir est partagé entre un exécutif dominé par le roi et un parlement dont une chambre issue directement du suffrage universel vote la loi. En outre, les actes du roi qui étaient auparavant pris sous forme de dahir étaient désormais pris par décrets, ce qui était interprété comme un signe de modernisation. Certes, la Constitution, dans son article 19, attribuait au roi le titre de commandeur des croyants. Cette disposition a été considérée comme conséquence de l’article 6 de la Constitution, qui affirme que l’islam est religion d’Etat. Dans la tradition marocaine, le sultan avait pour mission de veiller au respect des règles islamiques et de défendre les frontières. C’est dans cet esprit que le titre de commandeur des croyants a été interprété, d’autant plus que ce titre n’était pas l’initiative du roi Hassan II, mais du docteur Khatib. Toutefois, l’expérience parlementaire (1963-1965) vécue amèrement par Hassan II, expérience ayant bloqué les initiatives royales grâce à l’activisme de l’opposition parlementaire regroupée autour de l’UNFP et de l’Istiqlal, l’a conduit à remettre en cause la constitutionnalisation du régime et à revenir à la tradition du passé qui permettait au roi d’exercer le pouvoir sans limites. Ainsi, Hassan II a mis un terme au régime constitutionnel et décidé de revenir à la tradition pour assurer le pouvoir absolu. Il en résulte que le décret a disparu à partir de 1967 pour être remplacé par le dahir et le discours officiel était désormais axé sur la religion et sur le rôle d’Amir Al Mouminine. On a développé l’idée selon laquelle le commandeur des croyants est un guide choisi par Dieu pour diriger la Oumma, ce qui a fait entrer le Maroc dans un régime théocratique.
Après le succès de la Marche Verte en 1975, la théocratisation du régime s’est accentuée, allant de pair avec la personnalisation du pouvoir et la marginalisation des partis politiques réduits à jouer le rôle d’appoint à la monarchie. Les différentes constitutions qu’a connues le Maroc n’ont pas rompu avec la tradition qui est interprétée comme conférant au roi un pouvoir absolu, au détriment de la constitution dont l’objet est l’établissement de l’Etat de droit, c’est-à-dire un Etat dans lequel les gouvernants sont soumis au même titre que les gouvernés à la loi. La théocratisation du régime a conféré à la bey’a un rôle étranger à ses fonctions originelles, qui de surcroît n’avait plus sa raison d’être dans la mesure où la Constitution ne l’avait pas prévu et a réglementé minutieusement les règles de succession au trône. Le maintien de la bey’a telle qu’elle fonctionne actuellement avec une cérémonie annuelle et un protocole archaïque n’a pour objectif que de faire reposer la légitimation du pouvoir sur la tradition plutôt que sur la Constitution, ce qui est contraire aux principes de la démocratie qui font des membres de la communauté des citoyens à part entière et du peuple en tant qu’organe la source du pouvoir.
Quel est le rôle de la bey’a dans le régime politique marocain ?
La bey’a est une procédure qui a joué un rôle important dans le régime politique marocain avant le traité du protectorat. Elle était le moyen de légitimation du pouvoir au Maroc. Si la succession du pouvoir se faisait au sein de la dynastie régnante, le choix de l’héritier au trône devait recevoir l’accord des oulémas et la proclamation du nouveau sultan obéissait à l’acceptation de ces mêmes oulémas, et ceci par l’intermédiaire de la bey’a. La bey’a était considérée comme un contrat aux termes duquel les oulémas confient le pouvoir au sultan. En contrepartie, le sultan s’engageait à faire respecter les règles islamiques et à défendre les frontières. Si le sultan ne respectait pas ses engagements, les oulémas pouvaient le révoquer, ce qui s’est produit plusieurs fois dans l’histoire du Maroc, y compris sous la dynastie alaouite.
Propos recueillis par Maâti Monjib
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