Au moment de la lutte pour l’indépendance, quels étaient les liens entre le mouvement national civil et la résistance armée? Comment est-on passé du temps des Manifestes au soulèvement armé?
La résistance armée contre la colonisation (1947-1960) est la période la plus controversée de l’histoire de la mouvance nationaliste. Les représentations qu’en ont les Marocains sont les plus opposées, les plus empreintes de parti pris. Ces perceptions contradictoires occultent la réalité historique. Elles sont le reflet de l’après-Indépendance, de la lutte pour l’édification de l’Etat national et de la réappropriation de l’histoire nationaliste comme capital symbolique aidant à se positionner dans les champs social et politique. La tâche n’en est que plus compliquée pour l’historien de ce passé proche. Certains acteurs sont encore vivants et les intérêts et les passions sont toujours vivaces. Néanmoins les investigations des chercheurs nous aident à démêler, jusqu’à un certain point, événements et interprétations tendancieuses. On oppose souvent, au sein de la mouvance nationaliste, le mouvement national civil au mouvement de la résistance armée. Le premier est présenté comme celui d’une couche citadine, bourgeoise, « arabe », voire fassie. Une classe de politiques maniant le verbe, la ruse, la transaction. Des gens cherchant le compromis avec le colonisateur, et pour certains d’entre eux basculant dans la compromission. Des hommes « mous », prudents, peu courageux.
L’échec de la voie politique et civile
Bref, les uns sont des « bourgeois » soucieux de leurs intérêts, les autres des « révolutionnaires » connus pour leur abnégation. Mais cette opposition manichéenne est une construction de l’esprit. La réalité historique est beaucoup plus nuancée. L’interdépendance des deux mouvements est telle qu’il est très difficile de séparer les uns des autres au moment des événements. C’est pourquoi nous parlons de « mouvance », terme qui permet d’appréhender la réalité dans sa diversité. Certes, il y a eu, au sein de cette mouvance, des gens qui n’ont porté que des tracts ou des manifestes. Comme il y a en eu qui n’ont porté que les armes. Mais beaucoup d’autres, comme Allal El Fassi et son cousin Abdelkébir, se sont impliqués sur les deux plans… ironie de l’histoire, ce sont eux qui ont été le plus dénigrés par la suite !
Quels sont les litiges effectifs, au sein de la mouvance, qui ont dégénéré par la suite pour enfanter ces oppositions fortes ? Depuis la fin des années 1920, les nationalistes ont opté pour une lutte contre le colonialisme basée sur un choix légaliste, pacifiste et civil. Pour eux, le Maroc n’est pas une colonie française, mais simplement un pays sous protectorat. Régi par un acte international, le traité du 30 mars 1912, le Maroc pourra recouvrer son indépendance quand son peuple sera en mesure de s’auto-administrer. Mais au début des années 1930, la thèse des nationalistes marocains s’articule autour de deux axes : La France a transgressé le traité du protectorat en transformant le Maroc, de fait, en colonie française. Elle est donc condamnable en regard du droit international. Le sultan du Maroc est toujours souverain.
Par Mostafa Bouaziz
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