Dans son nouveau livre «L’impasse de l’islamisme, cas du Maroc», le chercheur Hassan Aourid se penche sur la relation compliquée entre l’islam politique et la modernité. Extraits.
Pourquoi s’ingénier à faire un travail sur un phénomène au creux de la vague, qui rencontre moins d’engouement ? N’est-ce pas là une navigation à contre-courant ? Il y a indéniablement d’autres raisons qui rendent le phénomène attrayant.
L’islam politique serait-il un mouvement au creux de la vague ?
D’abord, c’est la première fois que l’islam politique, par un processus autre que la révolution (cas de l’Iran), ou coup d’Etat (cas du Soudan), c’est à-dire électoral, arrive, à défaut du pouvoir, du moins au gouvernement au lendemain de ce qui était appelé improprement le Printemps arabe. C’est le cas au Maroc et en Tunisie.
Comment des islamistes qui se faisaient les chantres de la moralité religieuse, au Maroc comme en Tunisie, allaient-ils coexister avec la réalité des structures du pouvoir, sécularisées, gérées par des technocrates occidentalisés et une réalité sociale complexe et diversifiée ? A aucun moment les islamistes tunisiens ou marocains n’ont rechigné à l’apport des technocrates dans la gestion publique, ni appelé à interdire la mixité sur les plages, le port de maillot de bain pour les femmes, la consommation d’alcool, ou œuvré à se détourner des orientations économiques de leurs pays, tel le tourisme par exemple, ou les relations respectives de leurs pays avec leurs partenaires occidentaux ou des instances économiques mondiales. Pragmatisme ? Adaptation ? Ou, peut-être, sommes-nous témoins d’un phénomène annonciateur de la sortie de la religion dans la sphère publique, notion chère au philosophe français Marcel Gauchet ? Si l’assertion peut paraître prématurée, les partis politiques d’obédience islamiste, après leur participation à la gestion publique, ne seront plus les mêmes. Ils perdront de leur romantisme. On en a eu un avant-goût dans le cas marocain, où le PJD s’est détourné de ce qu’il adorait, sans gêne. Le Benkirane qui brandissait la main pour souligner sa solidarité avec les Frères musulmans égyptiens massacrés à la place Rabea Al Adaouia au Caire, est le même qui vante, en mai 2015, l’expérience égyptienne, ou renie toute attache avec l’internationale islamiste.
Le PJD, qui a longtemps surfé sur le référentiel islamique, voire sur la moralité religieuse, ne se définit plus comme islamiste et se veut l’expression d’une tendance conservatrice de la société marocaine, somme toute légitime, disent ses tenants.
Comment être moderne sans perdre son âme
Le phénomène d’instrumentalisation de la religion n’est pas propre au PJD, et les différentes expressions de cette instrumentalisation, qui vont de l’Etat aux mouvements qui contestent au pouvoir sa légitimité religieuse, et cache un phénomène plus complexe qui est peut-être le fond du problème : le rapport ambigu à la modernité. Comment peut-on être moderne sans se renier ? Les premières expressions laïques de la modernité mises en avant dans le monde arabe avec le socialisme et le panarabisme avaient échoué. D’autres expressions commençaient à émerger depuis la défaite de l’Egypte contre Israël en 1967. Malgré les subterfuges, les expédients, les faux-fuyants, ce qui est en jeu dans le recours à la religion, c’est la modernité de l’Etat et de la société. Comment y parvenir sans brusquer les mannes de la tradition ? Telle semble être la préoccupation des pouvoirs. Comment être moderne sans que la modernité n’affecte «l’âme» des sociétés musulmanes ? Telle est l’obsession des mouvements islamistes avec des tonalités différentes. Vu de près, les acteurs islamistes entretiennent des rapports ambigus avec la modernité, voire avec les pouvoirs.
Par Hassan Aourid
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