Il faisait tout et il était partout. Rectifions : il faisait presque tout et était presque partout. Driss Basri restera dans l’imaginaire collectif des Marocains comme l’homme fort des années 1980-90. Le presque roi d’une décennie traversée par les crises : économique, sociale et, bien sûr, politique. Dans ce Maroc partagé entre une rue et une université littéralement en feu, et une classe politique fermée à double tour, Basri régnait comme un roi. Ou presque. Mais Basri ne faisait qu’exploiter, dans ses moindres recoins, toute la marge que Hassan II a bien voulu lui concéder. C’était sa limite. Et c’était suffisant pour faire de lui, aussi, l’éponge du système, ou le «mur des lamentations» sur lequel échouaient toutes les critiques et toutes les frustrations exprimées tant par la population que par les élites. Zamane revient sur cet homme, son parcours, sa relation avec Hassan II, son «œuvre». Une manière de réexaminer ce Maroc si proche dans le temps, et qui semble pourtant si loin…
Demandez autour de vous et vous verrez : tout le monde a quelque chose à dire sur Driss Basri. Forcément. Des blagues, des anecdotes, des confidences, des analyses, etc. Le personnage a si longtemps occupé le devant de la scène qu’il avait fini par incarner, de son vivant, l’administration marocaine à lui seul ou presque. De cette administration, il porte les valeurs les plus nobles (parce qu’elles existent, ne l’oublions jamais) mais aussi, bien entendu, les plus contestables. Depuis l’élimination de Mohamed Oufkir en 1972, et l’éloignement progressif d’Ahmed Dlimi, qui se termine par sa mort prétendument accidentelle en 1983, l’étoile de Driss Basri est montée dans le ciel marocain. L’ascension a plutôt été douce, et s’est faite par paliers. S’il faut dater la percée de Driss, ou de « Louzir » (le ministre), comme beaucoup l’appelaient, surtout dans le sud marocain, il faudra remonter à l’année 1973. Le Maroc venait de dissoudre le CAB 1, ancêtre des services de renseignements intérieurs et extérieurs, et vivait une sorte de vide sécuritaire depuis les deux putschs militaires de 1971 et 1972. Il fallait tout remettre à niveau, tout réorganiser, parce que les deux coups de sang ont montré aussi la faillite du renseignement marocain, jusque-là cannibalisé par le trop puissant CAB 1 que le général Oufkir instrumentalisait à sa guise.
La création de la DST en 1973 a été une occasion en or pour Driss Basri. Ce service tout neuf, dédié au contre-espionnage sur le sol marocain, était confié à un jeune commissaire de 35 ans, un policier pur jus, un homme de dossiers, certes, mais pour lequel le terrain n’a aucun secret : Basri, donc, qui venait d’effectuer un court séjour dans les arcanes du ministère de l’Intérieur. Il avait l’avantage d’être suffisamment aguerri par son expérience dans le renseignement, mais sans être trop mêlé aux nombreux dérapages que le funeste CAB 1 trainait comme une damnation. Basri était pour ainsi dire « clean ». Et il allait hériter d’un département tentaculaire, dont la mission première est de préserver le trône contre la menace, essentiellement représentée en ces temps-là par la gauche.
Dossier coordonné par Karim Boukhari et Maâti Monjib
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