À 99 ans, Edgar Morin n’est pas lassé, ni désespéré de nous alerter une énième fois. Né en 1921, il a traversé les sombres épisodes de notre passé, que la plupart d’entre nous ne connaissent qu’à travers les livres d’histoire. Le sociologue et philosophe français sait de quoi il parle. Ecouté et lu dans le monde entier, il lance un nouvel appel aux consciences. Selon sa théorie de la complexité, l’œuvre de sa vie, Edgar Morin nous invite à nous lier, nous regarder, nous connaître et à prendre conscience que nous formons un tout, l’humanité. Un exercice dont il est passé maître, et qu’il réitère dans son nouvel ouvrage. entretien.
Vous avez rédigé «Changeons de voie, les leçons du coronavirus» (éd. Denoël), en collaboration avec votre épouse, la sociologue Sabah Abouessalam, durant le confinement. La crise sanitaire que nous avons traversée sonne-t-elle à vos oreilles comme une alarme de la dernière chance ? En comparaison avec d’autres épisodes récents de l’Histoire dont vous avez été témoin, peut-on dire que jamais l’humanité n’a jamais autant pris conscience de son destin commun ?
Alarme, certainement. Dernière chance, nous ne le savons pas et j’espère que non. La conscience de la communauté de destin de toute l’humanité à l’ère de la mondialisation est un préliminaire indispensable pour nous rendre solidaires. Cette conscience aurait dû apparaitre il y a 50 ans, dès 1970, lorsque le rapport du professeur Meadows du MIT nous révéla la dégradation non seulement de l’ensemble du monde vivant, mais aussi celle des eaux, des océans, des villes, des campagnes. Or, en dépit de catastrophes comme à Tchernobyl et des pollutions sans nombre, ce problème n’est pas arrivé à éveiller les consciences. Je pense que nous vivons une tragédie où l’angoisse que vivent les peuples incite plus à la fermeture sur la communauté nationale ou religieuse, que l’ouverture sur la communauté humaine. Alors qu’elles sont complémentaires l’une à l’autre. La Terre-Patrie enveloppe nos Patries mais ne les nie pas.
Quelle est pour vous la principale révélation de la crise mondiale ? En sait-on davantage sur nous, sur nos peurs et nos aspirations ?
La révélation intellectuelle est que tout ce qui semblait séparé est lié : la crise lie le problème de la vie, de la mort, du destin personnel de chacun, de son comportement, de l’économie, de la société, de la planète. La révélation politique est que l’humanité suit une voie où les aspects néfastes sont de plus en plus importants par rapport aux aspects bienfaisants. La politique s’est dégradée à la remorque de l’économie, et celle-ci s’est mise au service des puissances financières. Science-économie-technique sont les trois moteurs qui propulsent un vaisseau spatial sans pilote et de plus en plus agité de conflits. Pour moi, la leçon est claire : il faut changer de Voie et inaugurer en chaque nation un new deal politique-économique-écologique-social par lequel pourrait s’effectuer une convergence qui sauverait la planète.
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Propos recueillis par Sami Lakmahri