En cherchant dans son propre passé, François Salvaing se retrouve face à celui du Maroc, et du sultan Mohammed Ben Youssef. Né à Casablanca en 1943, l’auteur, qui se décrit comme fils du colonialisme, livre dans cet entretien ses certitudes et ses doutes sur l’héritage de cette période encore mal comprise. Son dernier livre, « 818 jours », plonge le lecteur dans le quotidien de l’exil de la famille royale entre 1953 et 1955. Un délicat mélange des destins…
Quels sont les matériaux que vous utilisez dans la production d’un roman historique ? Quel équilibre entre le travail de chercheur en histoire et celui de romancier ?
Je me définirais plutôt comme un conteur. Lorsque je m’installe à mon bureau, je ne me dis pas que je vais réaliser un roman historique. Je suis d’abord mobilisé autour d’un thème ou d’un personnage. C’est autour de cette idée centrale que je vais ensuite construire ou reproduire un univers environnant. Il se trouve que j’ai commencé par écrire des romans dont l’action est contemporaine. J’estime en effet que tout romancier doit être capable d’écrire sur son temps. J’ai également écrit des romans qu’on peut qualifier d’historiques au début de ma carrière. Lorsque je me suis senti la force artistique et morale pour écrire ce que j’ai pu vivre, je n’ai pas eu non plus l’impression d’écrire des romans historiques. Il est vrai que dans ce domaine, mon matériau principal était les souvenirs de mon enfance au Maroc à la fin des années 1940, début des années 1950. Il s’agit là de mon passé où sont inclus les personnages qui ont marqué cette période. C’est d’ailleurs comme cela que j’ai procédé pour la rédaction de « 818 jours ». Disons que le hasard a mis entre mes mains beaucoup de documents, dont des lettres émises par le sultan Mohammed Ben Youssef et adressées pour la plupart aux autorités françaises. Cette matière m’a incité à en savoir plus sur ce personnage historique ainsi que sur la période où il a vécu. Le travail d’enquête approfondie que j’ai réalisé par la suite est venu de l’intérêt que je portais au sultan alors en exil. Je voulais comprendre qui était cet homme, quelles épreuves a-t-il pu traverser et comment les a-t-il affrontées.
Etant fils de colon français au Maroc, vous n’hésitez pas à rendre publique votre confusion sur la place de l’histoire coloniale française. Comment jugez-vous aujourd’hui cette situation ?
Je pense que je ne suis pas le seul à me poser ce genre de question. Nous sommes assez nombreux à avoir vécu la même épreuve, c’est-à-dire être séparé brusquement de son pays natal. Nous sommes certes fils de l’aventure coloniale mais nous ne l’avons pas vécue en première ligne. Sans avoir été des acteurs principaux, nous nous retrouvons dans une situation où nous sommes français mais avec toujours une valise dans nos têtes.
Depuis mon retour en France en 1960, je considère que la France est le pays où je travaille, paie mes impôts, utilise la langue dont je suis un passionné, mais je demeure une personne née ailleurs. Cet ailleurs m’est aussi inconnu car je ne parle pas la darija ou l’arabe. Je regrette amèrement d’avoir quitté le Maroc avec à peine plus de 200 mots de vocabulaire. Cela me fait penser à un proverbe très éclairant pour moi et qui dit « qui n’appartiennent à rien, rien ne leur appartient ». J’ai mis du temps à réfléchir sur cette situation et je ne me suis inscrit sur les listes électorales qu’au bout de trente ans.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’article dans Zamane N° 69-70