Quand le bâtiment va, tout va ». Voilà une formule éculée et un peu trop généralisante pour être vraie en toute circonstance. Il reste à savoir pour qui le bâtiment peut ainsi être cette pierre philosophale pouvant transformer la matière en or massif. Comment le bâtiment permet-il de faire fortune à partir de rien et parfois sans rien bâtir du tout. Énigme et boule de cristal. Il n’y a pourtant rien d’énigmatique, si l’on se donne la peine de décrypter les origines et le processus de formation de ces pactoles aussi faramineux que spontanés. Au commencement, ce sont des biens immobiliers, bâtiments ou terrains non bâtis dont les propriétaires sont souvent des étrangers français, espagnols, suisses, belges, parfois des juifs marocains et des RME un peu trop absentéistes. Les uns et les autres, pour une raison quelconque, n’ont pas donné signe de vie, du moins pas souvent. Dans le pire des cas, ils sont morts, sans que leurs héritiers, pourtant existants, n’aient pris le soin de se manifester régulièrement. Dans le meilleur des cas, ils sont bel et bien vivants, souvent d’un âge avancé, mais résidants ailleurs et pas vraiment attentifs à ce patrimoine de leur prime jeunesse et de leur vie active. Il n’en fallait pas plus pour que ces propriétaires décédés ou simplement oublieux deviennent eux-mêmes ou leurs propriétés des proies attractives et juteuses. Qu’ils soient en déshérence réelle ou provoquée, ces biens ont généralement acquis une valeur foncière inestimable qui les rend farouchement convoités. Car, il existe des maraudeurs spécialisés dans ce genre de biens immobiliers qui semblent vacants, mais pas sans propriétaires attitrés ou ayants droits légitimes. Ils disposent de tout un dispositif parfaitement rodé pour mettre la main dessus.
Ce sont des sociétés-écrans qui prennent l’affaire en charge en amont. Elles établissent de faux testaments, des procurations et des contrats de vente complètement bidon. Une fois devenus acquéreurs-propriétaires de plein droit fallacieux, les individus qui animent ces sociétés vendent à une tierce personne qui n’est autre que le mentor de toute l’opération. Le tour est joué. La propriété en question change de main. Ses véritables propriétaires ou leurs héritiers sont dépossédés. Ils n’ont que leurs yeux pour pleurer, en attendant un recours en justice très improbable. On y reviendra.
Pour que ce système, parfaitement huilé, aille jusqu’au bout, des complicités placées à des postes stratégiques de validation sont nécessaires. Des notaires complaisants, des conservateurs étonnamment peu regardants et des préposés à dire le droit au nom de la loi peu amène. Tout ce petit monde interlope agit en bande organisée dans un milieu parallèle et totalement glauque. Il s’agit de ce que la presse écrite et les sites électroniques appellent, à juste titre, « la mafia de l’immobilier de Casablanca ». Ces prédateurs aux dents acérées et au bras très long sont passés maîtres dans la manipulation et le contournement des procédures juridiques. Ils ne sont évidemment pas intéressés par des bâtiments qui menacent ruine, ou qu’ils accusent ainsi, expertises et documents falsifiés à l’appui. C’est la valeur à la vente, une fois démolis et reconstruits, qui les motive. Un rapport de trois fois rien à un paquet de milliards lourd. Fabuleux. Ainsi se font ces fortunes qui semblent jaillir de nulle part, dans un secteur qui se prête aux grenouillages les plus sordides. Au vu et au su de pouvoirs publics apparemment pétrifiés, en tout cas peu réactifs, même à titre symbolique.
Des cas parfaitement illustratifs ont fait l’objet d’investigations approfondies dans les médias. On s’arrêtera sur un dossier parmi tant d’autres, parce que le plus récent. C’est l’histoire d’un octogénaire qui possède un terrain d’un peu plus d’un hectare sur l’autoroute Aïn Sebaâ, dans la périphérie immédiate de Casablanca. Une perle rare dans un espace urbain en pleine expansion, où le foncier se raréfie à l’extrême, au point de valoir son pesant d’or. Il est approché par des éléments du même acabit que ces prédateurs en quête de proie facile. Ils lui proposent de vendre l’objet de leur convoitise à un prix nominal qui paraît consistant. On lui soumet des papiers à signer qu’il paraphe sans avoir toutes ces facultés de jugement et sans possession de tous ses moyens. Vérification faite, le prix de vente affiché n’est que de deux misérables millions de dirhams, soit 50 fois moins la valeur réelle du terrain. Autant que ses proches, le vieil homme est profondément affecté. Il revient chez le notaire dans l’espoir d’avoir une explication quelconque. Sur place, il subit une fin de non-recevoir. Du coup, le vieil homme pique une crise nerveuse et s’affaisse. Son état a comme même inquiété ledit notaire et les auteurs présents de l’arnaque. On appelle une ambulance qui le dépose aux urgences publiques ou il est abandonné à son sort. Ce n’est qu’après avoir repris connaissance qu’il appelle ses enfants pour le récupérer et le ramener chez lui. L’homme culpabilise tellement qu’il en meurt, un peu plus tard. Ses héritiers portent plainte devant la justice pour annulation de la vente, suite à un abus de faiblesse et une arnaque caractérisée. La procédure traîne en longueur. Les séances se succèdent et confortent les arnaqueurs. Mieux, l’avocat des plaignants se range du côté des mafieux en oubliant sciemment d’interjeter appel dans les délais règlementaires. Ce qui est une atteinte grave à la déontologie de la fonction et aux intérêts de la partie civile. Une omission criminelle qui a permis à la bande mafieuse de prendre de vitesse la loi en se dépêchant d’exécuter une transaction de vente qui, en l’espace de quelques jours, fera passer le titre foncier de la société-écran à la vraie société des commanditaires de cette escroquerie. Une précipitation que justifie la valeur actuelle du terrain en question, quelque chose comme 100 millions de DH.
Il faut juste rappeler que cette même bande mafieuse est impliquée aujourd’hui dans pas moins de 15 affaires pénales de même nature et qui sont entre les mains de la justice, certaines sont même soumises au juge d’instruction de la Cour d’appel de Casablanca pour appréciation, en vue d’une probable inculpation.
Aujourd’hui, les ayants droits s’accrochent à l’espoir improbable pour que le dossier ne soit pas définitivement classé, comme tant d’autres.
Il est évident que les victimes de ces pratiques tentent, tant bien que mal, de défendre leurs droits à tous les niveaux des institutions concernées et compétentes. À commencer par la justice, la première à être alertée. Le ministre de la justice, Mustapha Ramid, a ainsi été interpellé sur le sujet, lors des questions orales au Parlement. Il a certes assuré que « la justice rétablira les victimes dans leurs bons droits et que toutes les mesures qui s’imposent seront prises à l’encontre de toute personne impliquée dans ces infractions ». Mais il a aussi invité les propriétaires « à prendre contact avec les services de la conservation foncière, une fois tous les quatre ans, afin de vérifier que leurs biens sont toujours en leur possession ».
Un conseil qui ressemble fort à un aveu de faiblesse, puisqu’il laisse entendre qu’aucun propriétaire n’est aujourd’hui à l’abri de ce genre de spoliation. Ceux qui pensaient que l’acte de propriété était inviolable sont ainsi avertis. On comprend dès lors que des dossiers de ce genre dorment d’un sommeil profond dans les tiroirs des tribunaux, depuis des décennies. Après l’indépendance et le départ de résidents européens, ce phénomène s’est structuré et aggravé, en prenant la forme d’une toile d’araignée impliquant certains fonctionnaires de l’appareil judiciaire, quelques notaires, des conservateurs fonciers et autres services collatéraux. Il ne faut surtout pas se laisser aller à imaginer que le lobby de ces arnaqueurs de haut vol soit plus fort que tous les pouvoirs régaliens de l’État, par le truchement de quelques passerelles invisibles ou avérées. En attendant, Zamane y reviendra avec de plus amples détails sur des dossiers précis de cette mafia qui font figure de cas d’école en la matière.
YOUSSEF CHMIROU, DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
il subit une fin de non-recevoir. Du coup, le vieil homme pique une crise nerveuse et s’affaisse. Son état a comme même inquiété ledit notaire et les auteurs présents de l’arnaque.
( comme même) commetre une faute de français aussi grossière pour un journaliste chevronné, laisse à désirer, punaise , mais vous n’avez pas de correcteur dans la maison???
Cordialement