Le 3 juillet, Moulay Abdellah Chérif Ouazzani, grand clerc religieux et champion de l’islam ouvert et tolérant, s’est éteint.
Né en 1964, il succombe subitement à une crise cardiaque. L’intellectuel de l’islam humaniste, alors qu’il était dans la force de l’âge et au faite de la maturité intellectuelle, tire sa révérence, provoquant émoi, consternation et un sentiment d’abandon chez ceux qui s’identifiaient à cet islam, à la fois des lumières et de l’amour. Le chérif, chez les intimes, ne rechignait pas à dialoguer avec les francophones, usant de sa maîtrise de la langue française avec les laïcs, avec qui il mettait en avant les valeurs de la raison de l’amour, et du vivre en commun, avec les clercs chrétiens et juifs, rappelant à la fois la foi en un Dieu unique et le message universel propre aux trois religions monothéistes, qui consiste en l’amour de l’Autre.
Le vendredi le 1 juillet, il participa à une rencontre sur l’analyse des soubassements de la radicalité (en français), il se rend dans la foulée à une veillée mystique à Boujad, le samedi à Fès à une rencontre avec l’université de Georgetown, sur l’amour dans les religions monothéistes avec des Marocains de confession juive. Le soir même, il retourne à Casablanca où, le lendemain, il devait rendre l’âme. Sa raison d’être, sa vie durant, était de défendre l’islam, qu’il considérait otage, titre d’un de ses livres. Par les siens d’abord quien font un mauvais usage et justifient la mauvaise réputation, et par ses détracteurs qui lui font mauvais presse. Lors d’une discussion avec un intellectuel français, au lendemain de la tuerie de Charlie Hebdo, Abdellah Ouazzani avait impressionné son interlocuteur sur l’essence des religions, toutes les religions, faite d’amour et de compassion. Puis il abonda sur cette industrie d’embrigadement, son modus operandi. C’est suite à cette discussion qu’il pondit son livre «L’islam en otage».
Depuis le 11 septembre 2001, Ouazzani a sillonné le monde, conversé avec tout le monde, donné des conférences, écrit des articles, en rappelant quelques évidences : la violence n’est pas intrinsèque à l’islam ou une industrie made in islam, que des musulmans pâtissent de situation d’infra- droit ; mais sans faire de concessions à certains de ses coreligionnaires qui, au nom de l’islam, intentent à la dignité humaine, commettent les actes de barbarie, où qu’ils eurent lieu, y compris les deux Scandinaves tuées de sang froid par des barbares, chez nous, dans notre propre pays. Moulay Abdellah Ouazzani n’était que le porte-parole du génie marocain, aimait-il dire, et de cette citadelle de l’islam qui est Fès. «Ayant grandi à Fès, dit-il, j’ai vécu l’ambiance de cette ville fondée par Moulay Driss. Ville qui connut la fondation par une femme, al-Fihriya, en l’an 859, de la plus ancienne université au monde, la Qaraouiyine, qui fut durant douze siècles un pôle de savoir et de connaissance, au service de l’humanité toute entière. D’éminentes personnalités non musulmanes y firent leur cursus ou y enseignent comme le Pape SylvestreII (Gerbert d’Aurillac) ou le grand médecin et philosophe juif Moshé Maimonide qui y enseigna en toute quiétude, des années durant. C’est de cet islam bon, aimant, ouvert, que je me réclame». L’islam des lumières et de l’amour vient de perdre un de ses meilleurs épigones. Une foule immense l’accompagna à sa dernière demeure à la Zaouia Ouazzania, à Fès, le 4 juillet. Le Roi Mohammed VI lui rendit hommage, dans un message de condoléances, ainsi que de plusieurs ordres mystiques, de par le monde. Qu’il repose en paix.
Par Hassan Aourid