L’histoire de l’Orient et celle du Maghreb auraient pu ne pas se croiser. Pourtant, depuis quinze siècles, leurs devenirs sont mêlés. Repères chronologiques pour comprendre la genèse de notre imaginaire collectif «arabe».
VIIéme-VIIIéme siècles
La conquête islamique : le choc des cultures
A la fin de l’Antiquité, l’Arabie ignorait tout de la Mauritanie Tingitane qui allait devenir le Maroc. Sans l’avènement de l’islam et la vaste conquête qui s’en est suivie, les hommes d’Arabie n’auraient probablement jamais mis les pieds dans les plaines de l’Afrique du Nord. Mais la ferveur de la foi islamique et la logique des grandes conquêtes médiévales les ont amenés aux portes de l’Afrique du Nord et de ce qui va devenir le Maroc. Cet espace nommé par les Arabes Maghreb Al Aksa (Extrême-Occident) baignait dans une culture locale berbère (ou amazighe selon la terminologie actuelle), mais fortement romanisée dans sa partie côtière, spécialement méditerranéenne. La conquête arabe des VIIe et VIIIe siècles, au-delà de son déroulement discontinu et de son influence inégale sur les territoires et les tribus, va entraîner la fin de cette romanisation partielle de la culture berbère. En moins d’un siècle, une mutation profonde s’accomplit. L’islamisation est quasi générale, puisque des principautés islamiques se sont installées sur tout le territoire : des côtes vers l’intérieur, jusqu’à Sijilmassa et l’oued Noun (au sud d’Agadir). Néanmoins, cette islamisation commençante, énergique et généralisée, s’accompagne d’une première fracture, non réduite à ce jour. Si les Marocains ont dit oui à l’islam en se l’appropriant et en l’adaptant aux fondamentaux de leur culture, ils ont dit non au despotisme arabe qui accompagne la fondation du système politique de cet empire naissant. En effet les conquérants arabes ne sont pas seulement porteurs de croyances nouvelles, mais aussi de pratiques de prédateurs. Les walis arabes et leurs troupes organisent non seulement des levées d’impôts, mais aussi des pillages, des rapts de femmes et des exécutions à tour de bras, légitimées par une croyance en la supériorité de la « race arabe ». La réaction des Berbères à ce despotisme arrogant sera la révolution menée par le chef Maysara Al Madghari en 739/740. Ce grand moment va inaugurer une certaine forme de différenciation entre l’islam du Machrek (Orient) et celui du Maghreb (Occident). Les populations vont également intérioriser le traumatisme vécu. Profondément enfoui dans l’imaginaire collectif, ce traumatisme ressortira plus tard de façon sporadique, ravivant l’opposition amazigh-arabe.
788-987
Les Idrissides : le Maroc s’intègre dans le «monde arabe»
Avec les conquêtes islamiques, l’influence de l’Arabie s’étend de l’Asie mineure aux confins de la Russie, de l’Irak aux portes de l’Inde, et du Golfe arabique aux côtes atlantiques de l’Afrique du Nord. Cette dernière portion est le noyau dur de l’espace parcouru par les Arabes musulmans. C’est elle qui va devenir ce qu’on appellera plus tard « le monde arabe » (en réalité, le monde « arabisé », c’est-à-dire arabophone et musulman). La genèse de cette entité culturelle s’opère par différents brassages ethniques et linguistiques, et des séries de conflits politiques rythmant des périodes d’entente et de mésentente entre royaumes et principautés. La genèse de ce monde s’est toujours accompagnée de concurrence de légitimités et de rêves d’unité et d’unification. Les premiers Idrissides descendent d’un Arabe d’Orient, Idriss Ier, dissident au régime des Abbassides, qui a émigré vers le « Maroc ». Ils sont accueillis par des tribus berbères partageant dans une certaine mesure le modèle de légitimité qu’ils prônent : celui de la primauté de la descendance du prophète Mohammed (ahlou el bayt). Cette proximité idéologique va faciliter l’implantation du chérifisme en pays berbère, avec ses corollaires : la légitimation du système politique par l’imamat, et la distinction ethnique par la filiation vis-à-vis du prophète.
Par Mostafa Bouaziz
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