Dans l’historiographie marocaine, l’interprétation donnée à la bey’a dépasse le simple cadre de passation du pouvoir. Elle s’apparente à une forme de contrat social.
Monarchie séculaire, l’investiture du pouvoir au Maroc se fait par le biais de la bey’a, dont on remonte l’origine au temps du Prophète. Les différents historiographes, notamment le grand Abderhman Ibn Zaydan (dans son ouvrage sur les us et les attributs du pouvoir au Maroc, Al ‘iz wa sawla), s’en réfèrent au modèle de la bey’a dite du Ridouan, quand les compagnons du Prophète lui prêtèrent serment à La Mecque. Dans l’historiographie marocaine, l’interprétation donnée à la bey’a dépasse le simple cadre de passation du pouvoir. Elle s’apparente, dans les « préceptes du commandement » (ahkam sultania, ou droit public musulman), à une forme de contrat social. L’historien Abdellah Laroui y a vu une reproduction du modèle hobbesien où le pouvoir, désormais concentré entre les mains d’une seule personne, confère, selon la terminologie hobbesienne, le salut public (salus populi) qui est la finalité du pouvoir, ce qui s’apparente à la sécurité collective et à celle individuelle (al amn wa al aman) dans la tradition musulmane.
Du contrat social
L’absence de pouvoir, matérialisée par la vacuité du pouvoir ou par des pouvoirs diffus, s’apparente, dans la tradition islamique, à la jahilia, la plus haïssable des formes et la plus honnie. C’est une forme d’état de nature, synonyme de perdition et qui ne pourrait mener au salut ni ici-bas, ni dans l’au-delà, comme celui qui a prévalu avant l’islam. La jahilia n’est pas seulement l’ère qui a précédé l’avènement du Prophète, mais toute situation politique marquée par l’absence d’un pouvoir institutionnalisé. Il y a une panoplie de propos attribués au Prophète qui, dans la tradition, étayent cette thèse. Un chef inique vaut mieux qu’une situation de jahilia. Et un bon musulman n’a pas à cautionner un état de nature. La tradition marocaine a conservé ce souci de sécurité qu’on rappelle à chaque fin de prière du vendredi, en priant pour qu’Allah puisse conférer victoire au sultan et couvrir les contrées de paix et de quiétude (yuhaddin al awtan). La bey’a n’est pas seulement un acte successoral, mais un contrat social renouvelé ou rappelé à l’occasion de l’investiture d’un nouveau sultan.
Par Hassan Aourid
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