Le Maroc bruisse de son nom. Sur la côte atlantique, dans les plaines, les montagnes ou les forêts, les enfants entendent parler d’elle dès leurs premiers cauchemars. Kandicha n’est pas un simple épouvantail : elle est une entité vivante dans la psyché collective, une figure dont le mystère agit sur tous les âges.
On la redoute sans la connaître vraiment. Et chaque région en propose une version différente, nourrie de ses propres fantômes, de ses peurs secrètes, de ses blessures historiques. Figure double, fuyante, insaisissable, Aïcha Kandicha traverse les siècles comme une silhouette entre les mondes. Elle n’est ni tout à fait humaine, ni tout à fait démoniaque. Elle fascine et terrifie, se dérobe et réapparaît. Elle est cette mémoire tremblante qui hante les rives de l’Atlantique, les rumeurs du Sud, les replis de la nuit. Son nom se chuchote encore au creux des foyers, entre récits populaires et craintes ancestrales. Car Aïcha Kandicha, c’est une frontière vivante : entre la résistante et la « jennia », entre la figure féminine libre et le spectre de la perdition. À Safi, on évoque une comtesse portugaise, «condessa» (d’où la corruption en « kandisha »), noble femme étrangère venue s’éprendre d’un Marocain. Une passion improbable, entre deux mondes, deux cultures, deux civilisations alors en conflit. Belle à en perdre la tête, elle aurait ensorcelé les hommes par sa seule présence. Dans les ruelles étroites, sa chevelure noire et son teint pâle troublaient l’ordre établi. Certains en devenaient fous, d’autres la suivaient comme hypnotisés. Était-elle humaine ou déjà spectrale ?
Par Younes Mesoudi
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