Un potentat surpuissant, violent et ardent collaborateur de la colonisation au Maroc. Telle est l’image laissée par la tribu des Glaoua à l’indépendance du royaume. Mais qu’en est-il réellement ? Mohamed Oujamaâ, spécialiste de la question, vient apporter la nuance d’un historien. Il nous explique l’origine et l’essor de cette seigneurie de l’Atlas, s’attarde sur les personnalités de Madani et Thami El Glaoui, et nous fait comprendre les enjeux de la bataille de mémoire, perdue par la célèbre famille des Pachas de Marrakech. Une plongée dans les coulisses d’une histoire-miroir de celle, complexe, du Maroc sous domination coloniale…
D’où vient la famille des Glaoui et comment s’est-elle développée dans l’Atlas ?
Les Glaoui ou Mezouari, de leur nom d’origine, formaient initialement une seigneurie locale de Telouat, dans la région de Ouarzazate, dans le versant sud du haut atlas central. Ils se sont établis autour du Tizi n’ Tichka, qui s’appelait d’ailleurs Tizi n’ ou Glaou, soit le col du Glaoui. Cette famille, qui a hérité de la richesse de leurs ancêtres, a pris de l’importance sous le règne de Moulay Abderrahmane (1822-1859) qui, par dahir, leur octroie le titre de caïds du versant sud de l’Atlas. Les Glaoui passent donc de simples cheikhs d’Amghrar à celui de précepteurs d’impôts dans toute la région. C’est le début de leur montée en puissance puisqu’ils ne sont plus seulement des gardiens des us et coutumes d’un système tribal amazigh, mais désormais garants du droit religieux, le «chraâ» directement rattaché au pouvoir makhzénien. L’histoire de cette famille est également rattachée à une filiation chérifienne, quifait donc de ses membres des descendants du Prophète par les Idrissides, puis par les Saâdiens. Or, il faut se méfier de la véracité de cette affiliation qui sacralise en quelque sorte les chérifs, qui sont détenteurs d’une sorte de «baraka» les plaçant au dessus de la masse. Les Glaoui, comme tant d’autres, avaient besoin de ce titre dans leur quête d’une puissance légitime.
Comment les Glaoui ont-ils renforcé leur lien avec le Makhzen avant l’instauration du Protectorat ?
Dans la seconde moitié du XIXèmesiècle, le Maroc est au plus mal. Les défaites militaires successives face à la France à Isly (1844), puis l’Espagne à Tétouan (1860), ont réduit son économie à néant. Afin de payer les indemnités et les dettes de guerre, le sultan a en quelque sorte hypothéqué l’économie tribale du pays. Les Glaoui ont été sollicités par le Makhzen pour contribuer à l’effort financier et, en contrepartie, ont pu récolter tous les impôts du sud de l’Atlas. Outre l’exploitation d’un important gisement de sel, la tribu est devenue l’autorité suprême dans de vastes régions du Maroc, engrangeant ainsi une plus grande fortune encore. Les liens avec le Makhzen se resserrent davantage sous Moulay Hassan (1873-1894), qui offre du matériel militaire à la tribu dont une pièce du terrible canon Krupp. Un avantage dont sait tirer profit Madani El Glaoui, chef de la tribu.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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