Colonisée par la France dès 1830, l’Algérie a tôt fait de penser son nationalisme. Lorsque vint le tour du Maroc, une poignée de jeunes ont profité de l’expérience des voisins en la matière. Des pionniers tels que Messali Hadj deviennent des modèles pour le nationalisme marocain naissant…
Quel est le point commun entre Mohamed Hassan El Ouazzani, Ahmed Balafrej, Mohamed El Fassi, Mohamed Benabdeljelil, Omar Benjelloun ou encore Abdelkhalek Torrès ? Outre le fait qu’ils sont tous des illustres nationalistes marocains, ils sont parmi les premiers membres de l’Association des Etudiants Musulmans Nord-Africains (AEMNA). Ce regroupement initié en 1927 devient rapidement l’épicentre de la pensée nationaliste maghrébine. Son militantisme avant-gardiste et influent perdure tout au long de la période coloniale française sur l’Afrique du Nord. L’Algérie, possession tricolore depuis 1830, et la Tunisie, Protectorat en 1881, connaissent et subissent déjà la France. Logiquement, le sentiment anticolonial y est cultivé avant celui du Maroc, dernière acquisition française dans la région (mars 1912). L’AEMNA, devenue le repère parisien des étudiants maghrébins, est elle-même une sorte d’extension d’une autre organisation pionnière, l’Etoile nord-africaine (ENA), créée dans la capitale française en juin 1926. L’un des ses fondateurs et premier secrétaire général, Ahmed Messali, dit Messali Hadj, est la figure pionnière du nationalisme algérien. L’homme et ses compagnons ouvriers algériens immigrés en France, ne cache pas ses revendications. Dans un discours prononcé en février 1927 à l’occasion d’un congrès communiste à Bruxelles, il déclare sans ambages : «Le peuple algérien qui est sous la domination française depuis un siècle n’a plus rien à attendre de la bonne volonté de l’impérialisme français pour améliorer notre sort». Sa revendication suprême : «L’indépendance totale de l’Algérie» n’est encore que chimère. Mais son audacieuse action politique inspire de jeunes tunisiens et marocains qui se réunissent donc au sein de l’AEMNA. L’association est aussitôt après sa création, présidée par un tunisien qui deviendra martyre et symbole la résistance syndicale au colonialisme : Ferhat Abbas.
A la fin des années 1920, la poignée d’étudiants marocains, tous issus de la bourgeoise citadine de Fès, Salé ou Rabat, baignent dans une mouvance nationaliste maghrébine impulsée par des Tunisiens et des Algériens. Dans un article de recherche consacré à l’AEMNA, l’historien français spécialiste de la colonisation en Algérie, Charles-Robert Ageron, décrit en substance les activités et les objectifs de l’organisation : «Elle voulait exalter l’histoire du Maghreb arabe et le retour aux grands hommes du passé. Pour ce faire, l’Association organisa dès 1928 des causeries en arabe, devenues hebdomadaires à partir de 1931, et la commémoration systématique des grands savants arabes. La liste des premières causeries, toutes consacrées à la culture arabomusulmane, ne recèle certes aucune surprise, mais brille par un certain éclectisme : histoire, philosophie, sociologie, littérature et médecine se par ordre décroissant d’importance l’intérêt des étudiants». Dès le départ, l’identification au monde arabe est l’un des piliers de la pensée nationaliste naissante au Maroc. D’ailleurs, c’est sous le secrétariat général d’Ahmed Balafrej, que l’AEMNA décide en février 1930 de ne plus admettre au sein de l’Association les étudiants naturalisés français. Si la question marocaine est encore mineure au sein du mouvement, elle va rapidement devenir un enjeu de premier plan. Le 16 mai 1930, est promulgué le dahir berbère qui réforme le fonctionnement de la justice dans les tribus de coutume berbère. Cet événement catalyse le mouvement national marocain naissant et lui offre l’occasion de s’émanciper