Dans cette interview exclusive pour Zamane, Pascal Buresi, grand connaisseur du Maghreb médiéval, nous apporte une analyse et un éclairage inédits sur une période riche du passé du Maghreb et de l’islam «occidental». L’auteur de «Géo-histoire de l’islam» et «Histoire du Maghreb médiéval» revient sur le contexte qui a permis l’expansion rapide des Almoravides, notant au passage la forte influence extérieure qui a marqué l’empreinte doctrinale durable de la dynastie berbère.
Quelles relations pouvaient entretenir l’Empire almohade avec les autres structures impériales islamiques de l’époque, en particulier les Seljoukides ?
À proprement parler, les relations des Almoravides avec les Seljoukides ne sont guère documentées. Les savants de l’émirat almoravide partent en quête du savoir (et en premier lieu du savoir religieux, mais pas uniquement) en Orient, ils passent par le califat fatimide du Caire, ou l’évitent s’ils le peuvent. Mais les sources ne mentionnent pas de relations officielles entre les émirs seljoukides et les princes almoravides. En revanche, les savants de l’émirat, plus ou moins officiellement mandatés par le prince almoravide, sont allés à Baghdad pour obtenir des lettres d’investiture à la fin du XIème siècle. Ils ont ainsi pu obtenir une lettre du calife reconnaissant le titre de «Commandeur des musulmans» (amir al-muslimin) inventé par les Almoravides, sur le modèle du titre «Commandeur des croyants» (amir al-mu’minin) qui, selon la Tradition, remonterait à Omar b. al-Khattab et serait réservé au calife.
Que représente la victoire de la bataille de Zallaqa, en 1086, pour la présence musulmane dans al-Andalus ?
Les Almoravides interviennent dans la péninsule Ibérique à la demande des rois des Taifas (muluk al-tawa’if) qui font face à une offensive militaire des principautés chrétiennes du nord de la Péninsule, en particulier Alphonse VI de Castille León qui s’est emparé de la Taifa de Tolède en 1085. Très prudent, l’émir Youssef ben Tachfine préserve ses troupes et, comme il est censé venir sauver les Andalous, et à leur demande, il ordonne que ses troupes soient en arrière et place sur la ligne de front les troupes des Taifas de Grenade, Malaga, Séville, Cordoue. La victoire des troupes coalisées (grâce à une manœuvre de l’émir almoravide qui contourne le champ de bataille pour prendre à revers les troupes castillanes) a un impact majeur sur la situation : à très court terme, elle interrompt l’avancée des Castillans. À moyen terme, les divisions et rivalités reprennent entre les souverains des Taifas, dès que l’émir almoravide est reparti au Maghreb avec ses troupes. Il revient en 1090 et entreprend cette fois la conquête des différents royaumes des Taifas : d’abord Grenade, Malaga, puis Séville, Badajoz. Sur le long terme, cette intervention almoravide marque un retournement historique majeur. Pour la première fois, les populations du Maghreb sont en position de force de part et d’autre du Détroit de Gibraltar. Ce ne sont plus les Omeyyades de Cordoue qui interviennent et exercent leur influence au sud du Détroit. Ce sont les Sanhajas qui, depuis la capitale qu’ils ont fondée en 1070, Marrakech, gouvernent à la fois le Maghreb Extrême (Maroc actuel), et al-Andalus.
Propos recueillis par Farid Bahri
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