À l’indépendance du Maroc, la scène artistique ne connaissait pas plus de deux ou trois artistes qu’on pouvait qualifier de modernes. La majeure partie des peintres étaient ou naïfs ou orientalistes. En d’autres termes, ils étaient selon le point de vue des modernistes, des colonisés sur le plan de l’imaginaire.
Les peintres qui vécurent la lutte pour l’indépendance et qui avaient une prise de position, plus ou moins déclarée, n’étaient pas encore confirmés dans leur carrière. La grande majorité était d’ailleurs dans des écoles européennes en train d’étudier et de se préparer pour rentrer au pays. Le fait d’avoir été dans des écoles européennes à l’époque des guerres de libération leur a permis, non seulement de se forger un point de vue politique personnel, mais de se lier d’amitié avec les étudiants venus du monde entier, et notamment ceux des pays colonisés ou fraîchement indépendants. Les grandes capitales européennes abritaient, non seulement des artistes, mais des intellectuels, des écrivains, des poètes et des hommes politiques. Il va sans dire que cette population venue du monde opprimé, donnait l’occasion de forger un seul langage, celui des anciens colonisés. De là la décolonisation. Pendant que les hommes politiques parlaient de libération et usaient d’armes et de violence, les artistes et les intellectuels usaient de moyens culturels et artistiques, et parlaient de décolonisation des esprits. La décolonisation ne fut pas un simple luxe intellectuel où les artistes et les créateurs s’exerçaient à transplanter des concepts idéologiques sur un terrain culturel. Ce fut une lutte née de la pratique artistique directement. Formés dans les écoles des pays colonisateurs, les artistes sont rentrés avec l’urgence de construire une culture nationale. Le concept de «national» n’était pas assez clair, mais il voulait dire pour eux : ce qui a rapport avec le pays, et surtout ce qui a rapport avec les habitants du pays.
Par Mahfoud Tekni
Lire la suite de l’article dans Zamane N°162